Semaine S-45 : Ô grand saint Nicolas !

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

saint-nicolas.jpg, déc. 2022Fête attendue des enfants remplissant les caisses des magasins de jouets en vidant celles de leurs parents, la Saint-Nicolas laisse cependant à tous des souvenirs émerveillés.

Comme pour tout, les choses évoluent et si aujourd’hui, les enfants n’ont qu’à, pour rédiger leur lettre jadis uniquement calligraphiée, découper les nombreux catalogues s’amoncelant dans les boîtes aux lettres et éventuellement aller saluer un grand saint à la barbe décollée et au manteau fatigué relégué dans un coin de supermarché, dans les sixties, on se déplaçait pour dévorer des yeux le rayon jouets des grands magasins et la mise en scène y était parfois carrément cinématographique.

Tous les liégeois se rappellent l’année 1965 où le Grand Bazar de Liège rendit hommage à Tintin qui venait de marcher sur la lune bien avant Neil Armstrong.

Attirés par les décors fabuleux de la façade* sur laquelle les personnages principaux dans leur scaphandre orange nous invitaient à l’aventure, on était plongés dès l’entrée dans une ambiance pré-cosmique qui nous conduisait à l’accès de la célèbre fusée à damier rouge et blanc menant aux cieux où nous attendait le grand saint.

Les portes fermées, nous étions avec certitude dans cet engin spatial où le capitaine Haddock avait vainement tenté d’attraper sa boule de Whisky dans un effet d’apesanteur que nous ressentions immédiatement, mentalement en tout cas.

Par le hublot défilait la galaxie en nous éloignant de la planète bleue.

Trois étages plus haut, nous alunissions, une fois passé le sas de décompression (il y avait du monde), la féerie des cratères lunaires sous un dôme étoilé achevait de nous laisser la lippe pendante et les yeux écarquillés.

Puis c’était l’attente, la longue file d’apprentis astronautes s’étirait sagement quoique l’impatience mêlée de crainte devant la solennité du moment étaient palpables. Et là, au fond d’une ambiance finalement anachronique, "il" trônait majestueux au milieu de lourdes tentures de velours alizarine avec son compère Hanscrouf** qui, tout noir et armé de fouet qu’il était, ne nous faisait pas tellement peur puisque c’est lui qui distribuait friandises et cliquets*** assourdissants en échange de nos promesses sincères d’être sages.

Le quotidien de ces semaines magiques n’était pas mal non plus car chaque soir nous pouvions mettre nos souliers devant la cheminée, chemin privilégié par le bienfaiteur puisque les portes de la maison étaient fermées, dans lesquels, sous réserve d’être des enfants parfaits, il nous déposait quelques gâteries pour nous faire patienter jusqu’au grand jour.

J’aimais surtout le dimanche, visite hebdomadaire chez nos grands-parents où ma soeur et moi retrouvions nos cousin et cousine. Dans le petit salon qui nous était réservé, nous nous agenouillions autour de la table de salon Art Déco, les bras autour de la tête et le front sur son marbre froid, dans l’espoir que nos incantations aveugles nous fourniraient des gourmandises supplémentaires.
C’est à tue-tête que nous braillions sa chanson**** pour l’attirer. Si notre conviction avait séduit, la sainte Main entrouvrait la porte et une pluie de chiques***** s’abattait sur nous et dans une frénésie indescriptible nous lançait à quatre pattes dans la pièce afin de récupérer cette céleste manne que nous partagions finalement équitablement.

...

Puis arrivait enfin la veille du grand jour, avec cérémonie, on sortait la plus belle nappe, les assiettes du service au liseré doré qu’on disposait avec la rectitude du plus galonné des maîtres d’hôtel, on n’oubliait évidemment pas les carottes pour l’âne et le petit verre réchauffant pour le saint, il me semble par contre qu’aucune attention n’était prévue à celui qui rendait pourtant la descente possible en ramonant la cheminée.

La nuit semblait interminable et bien entendu le réveil était matinal mais la consigne était d’attendre celui des parents beaucoup moins impatients que nous, une torture largement compensée par la suite.

Le merveilleux était là, notre liste (modeste) de souhaits généralement exhaussée. Quelle journée où il était si exaltant de monter ce train électrique, ce circuit de voitures, d’enfin pouvoir compléter son village en Lego d’une nouvelle maison ou de sidérer la famille grâce à sa boîte de prestidigitateur ou de chimie !

Ce dimanche de rêve se prolongeait par le souper dominical chez les grands-parents où nous attendaient de nouvelles surprises, les vêtements sur mesure faits par Mamy pour nos poupées, un anorak, une tenue de petit baigneur et même un ensemble de footballeur et d’autres petits jouets demandés. Les friandises abondaient également ; entre les dattes, mandarines, noix, guimauves, spéculoos et massepain cuits maison et autres lacets à la réglisse trônaient ce que nous adorions tous : les paquets de cigarettes au chocolat ou mieux, au chewing-gum !

Assis avec une distinction soudaine sur les canapés rebondis, nous les déballions avec des airs imprégnés, détachant le cellophane avant de déplier soigneusement le papier alu, en sortions partiellement dans un dégradé artistique trois ou quatre cigarettes que nous nous offrions mutuellement.
Puis notre pouce jaillissait de notre index replié simulant une flamme afin d’allumer l’objet normalement interdit. L’index et le majeur bien droits et parallèles enserrant le pseudo filtre, l’auriculaire dressé, les yeux mi-clos, nous portions la cigarette à la bouche, en tirions une grande bouffée virtuelle que nous relâchions doucement avant de discrètement déchirer les premiers millimètres de papier et croquer la friandise.

...

Ce jour-là dans la cour de récré, parmi les élèves de ma classe de 3ème primaire régnait une ambiance électrique, les discussions étaient animées entre deux camps. Certaines affirmaient aux autres sceptiques que saint Nicolas n’existait pas, que "c’étaient les parents" !
Impensable !
Les arguments des unes affrontaient les réticences des autres dans un conflit tellement passionnel que la maîtresse se rendit compte qu’un problème empêchait ses élèves maintenant en classe d’être aussi réceptives que d’habitude. La polémique lui fut exposée et c’est suspendues à son jugement que nous apprîmes la cruelle réalité ! Personnellement, ça ne m’affecta guère et c’est triomphante que je déclarai à ma mère que je connaissais leur "secret" ! Elle parut contrariée puis fataliste et c’est sans problème que je lui promis d’entretenir la magie pour ma petite sœur comprenant sans doute confusément qu’il fallait que la mystification dure si je voulais encore longtemps en profiter !

...

Quelques années plus tard, lors du cortège de la Saint-Nicolas des étudiants, variante plus douteuse de la fête, c’est vêtue du tablier estudiantin et la chope à la main que je sollicitais "la petite pièce pour la soif" avant de me compromettre à des libations que seuls les initiés peuvent comprendre et pendant lesquelles les chansons paillardes étaient plus beuglées que les comptines de notre enfance !
stn06.jpg ...

Saint Nicolas revint à la maison et la coutume réinstaurée quand enfin je pus à mon tour garnir assiettes et déposer mille cadeaux et ce fut bien entendu un plaisir immense revisité.

...

Actuellement, c’est un peu morne plaine mais l’âge d’être grand-mère étant là, je ne désespère pas offrir un jour les mêmes joies que ma Mamy nous préparait à de petits garnements momentanément sages et appelant de bon coeur le grand saint Nicolas à garnir leurs souliers !

* Pour vous faire une idée : La façade du Grand Bazar place Saint-lambert
** Hanscrouf = Père fouettard dans la région liégeoise
*** Le cliquet, jouet destiné à irriter le parent le plus zen, en image et son !
**** La chanson :
Ô grand Saint Nicolas, 
Patron des écoliers, 
Apporte-moi des pommes 
Dans mes petits souliers. 
Je serai toujours sage 
Comme une petite image. 
J'apprendrai mes leçons 
Pour avoir des bonbons. 
Venez, venez, Saint Nicolas, 
Venez, venez, Saint Nicolas, 
Venez, venez, Saint Nicolas, et tra la la... 
Ô grand Saint Nicolas, 
Patron des écoliers 
Apporte-moi des jouets 
Dans mon petit panier. 
Je serai toujours sage 
Comme un petit mouton. 
J'apprendrai mes leçons 
Pour avoir des bonbons. 
Venez, venez, Saint Nicolas, 
Venez, venez, Saint Nicolas, 
Venez, venez, Saint Nicolas, et tra la la... 
***** La chique en Wallonie n'est pas ce qu'on croit (regardez, c'est très drôle)

Claire Chazal a rejoint ce 1er décembre le clan des sexa.