Semaine S-3 : Clic-clac Kodak !

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

photo-ludwig.jpgDans ce fabuleux grenier familial, il y avait cette grosse boîte en bois dont il fallait trouver le système d’ouverture et l’utilité. Le couvercle s’abaissait, et on pouvait déplier sur des rails un soufflet terminé par un cylindre en cuivre muni d’une espèce de loupe.
- C’est un vieil appareil photographique, me dit mon père en sortant d’un tiroir un modèle beaucoup plus petit à soufflet lui aussi, de structure et mécanisme métalliques dont j’adorais manipuler les molettes, leviers, charnières et bagues.

J’ai vite compris qu’une passion animait mes aïeuls, à cette époque, mon père nous photographiait avec un appareil type Rolleiflex, cet étrange objet qu’on ouvrait par le haut, qu’il tenait quasiment sur le ventre regardant l’image inversée projetée par le jeu des lentilles. J’aimais beaucoup faire claquer les volets protecteurs, regarder tout ce monde comiquement à l’envers autour de moi et jouer avec son flash, espèce de parabole à déployer en éventail.

Même dans les sixties, faire ou se faire prendre en photo n’était pas anodin, il fallait sourire obligatoirement face au soleil qui faisait plisser les yeux et provoquait des grimaces peu esthétiques et la pose était de rigueur comme une réminiscence des obligations techniques de la fin du XIX ème s., début de la photographie plus ou moins vulgarisée.

Noël 1971, histoire sans doute de perpétuer le hobby familial, je reçus un de mes plus beaux cadeaux, un Kodak instamatic 233x mettant la photo à la portée de tous grâce à son "Cartridge"* de 12, 17 ou 24 photos format 36/36 qui évitait la laborieuse mise en place du film, focale fixe, cinq ouvertures de diaphragme : très nuageux, nuageux-soleil, soleil, soleil à la mer ou la montagne, flash cubique (4 ampoules) automatique.
Avoir un appareil photo même basique à mon âge n’était pas si commun et j’étais souvent sollicitée aux camps scouts pour emmagasiner des souvenirs. C’était tout un art de cadrer joliment dans un carré et une obligation d’économiser ses élans artistiques vu le prix de la pellicule, du développement et de l’impression.
Cela fait bien réfléchir avant de déclencher !

Puis, une dizaine d’années plus tard, je passai enfin au reflex ce qui me permit de mettre plus sérieusement en pratique le cours de photographie reçu en Archi que je peaufinai en apprenant les finesses du développement dans un club.
Tout restait quand même cher mais ça se démocratisait, on finissait même par pouvoir avoir ses photos en une heure, à condition de se rendre en ville généralement ou de se les faire envoyer par la poste il y a encore 15 ans.

Mais l’incertitude du résultat et l’attente étaient là.avocat-leblanc.jpg

Prendre et enfin voir des photos étaient une suite de petits plaisirs.
Évidemment, on avait supprimé les ratés.
Évidemment, on avait acheté un bel album.
Évidemment, on y avait collé tout de suite les clichés avec de petits sous-titres drôles et bien écrits.
Jusqu’à l’apothéose, à l’apéro, les montrer aux amis, plus ou moins enthousiastes...
Et de se passer les albums sans pouvoir les voir tous ensemble tout en affichant si possible un réel intérêt. Au moins avec les séances diapositives, on pouvait s’endormir !

Évidemment, le plus souvent les photos terminaient pêle-mêle dans un tiroir laissant aux générations futures le cruel voire fatidique tri.
Mais au moins il reste des traces.

À la mort de mon Olympus argentique, j’ai bien entendu moi-même succombé au digital.
À moi, le coup d’index en rafale, l’arrêt devant tout paysage plus ou moins bucolique, les photos sur le vif floues en ce début du numérique un peu lent à la détente, qu’importe, ça ne coûte rien et pour peu que le sujet ne soit pas trop mobile, on peut recommencer à l’infini, si la batterie ne tombe pas en panne.
Évidemment, j’ai supprimé les ratés.
Évidemment, j’ai composé un joli album sur internet.
Évidemment, je le montre aux amis... enfin, sur mon PC ou ma tablette car je n’ai jamais imprimé, ou presque, une seule de mes photos digitales !

Heureusement, j’ai tellement peur de les perdre que je les ai gardées sur mes cartes SD et copiées sur au moins trois supports.

Si ma génération peut encore garder son smartphone (Si ! On en a !) deux heures dans son sac ou sa poche, sauf quand on parle petits-enfants, là, c’est l’orgie, celle de mes enfants tenir une heure sans y jeter un oeil, c’est le festival des bouches en cul de poule cœur en-dessous de trente ans.

Et c’est parti pour les poses avantageuses ou suggestives, éventuellement recadrées si on a le physique plus difficile ou décorées grâce à des applications déjantées. Tout monument historique se voit tagué en avant-plan, par le biais d’une perche télescopique, d’une ou plusieurs têtes béates et plus intéressées par l’instantané qui ira rejoindre le cimetière des clichés oubliés dans le Cloud ou Instagram si on est chébran.
On y ajoutera, des monceaux d’assiettes plus ou moins gastronomiques, des millions de pieds aux soleil à côté d’un cocktail et des milliards de couchers de soleil à te dégoûter d’encore en apprécier.

Ça, même si le côté artistique de la photographie est souvent galvaudé, c’est la partie sympathique du numérique accessible.
Il reste les photos (et vidéos) volées et partagées abusivement et ce, dans tous les domaines, hélas souvent le sexe et les drames.
Ne boudons pas notre plaisir, à part des publications blâmables et non-autorisées, je suis coupable d’à peu près tout ce que je dénonce et on n’y changera rien, il restera les photos qu’on aura peut-être imprimées mais apparemment sûrement toutes celles qu’on aura publiées sur le web sans réfléchir.

Malgré tout, je l’avoue, je rêve de l’objectif de qualité, tellement miniaturisé que je pourrai capturer des photos réglées par l’œil et prises d’un coup de cil invisible, photographe amateure que suis !

Les deux photos que je joins sont des photos familiales, je ne sais pas qui sont ces bambins boudeurs qui n'ont pas dû apprécier qu'on leur interdise de bouger mais le fier couple posant devant un décor fort bien fait ma foi, ce sont mes arrière grands-parents paternels, côté grand-mère.
En digne héritière, ma fille Aurore reprend le flambeau et a ajouté à ses multiples talents professionnels, celui de photographe, ne boudez pas votre plaisir et visitez ses sites web "photographe" : www.labelau.com ou "communication graphique" :www.aurorelefevre.be

Venant d’avoir soixante ans Kate Burton trouve que ce n’est plus drôle d’être actrice et vient d’annoncer qu’elle arrête pour d’autres passions, la photographie peut-être ?