Saison 3.9 : Victoire ! Chapitre 3

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

victoire-3.pngElle avait les mains moites et détestait ça, il fallait quand même bien qu’elle le leur dise.
Depuis toujours il fallait qu’elle leur avoue, enfin, depuis tellement longtemps elle savait qu’elle devrait leur parler.
Elle était certaine que ça allait mal se passer, elle avait préparé sa valise et trouvé un endroit où on l’accueillerait, « au cas où... », fort probable ; un bagage pas trop grand renfermant ses trésors, tant pis, le reste ils en feraient ce qu’ils voudraient !

Elle avait quand même donné quelques consignes absconses à sa sœur aînée qui n’ayant bien évidemment rien compris, avait dit oui pour se replonger aussi vite dans le mètre cube de syllabi de candi véto que la première session n’avait pas suffi à lui faire ingurgiter.
- Oui ok, tu te casses, je garde un œil sur tes brols, bonnes vacances.
Sympa la frangine.
Son père n’avait rien des babas cool soixante-huitards ni des hippies des seventies, bien coincé le gaillard, c’était même à se demander ce que sa mère lui avait trouvé, au minimum quatre fois. Elle n’aimait pas du tout se les imaginer à l’œuvre.
Rigide le vieux, enfin... Bon, allez, courage, on ne sait jamais.
Elle n’y était pas allée de main morte, sa plus belle robe et ses escarpins favoris, elle s’était malgré tout contentée d’un soupçon de maquillage qui lui donnait confiance.
C’est vrai qu’elle aurait pu s’abstenir.
Le rendez-vous était pris avec ses géniteurs, elle ne reculerait pas.
La gueulante fut mémorable.
No way.
Elle partit donc.

- On se connaît, non ?
- Euh, non.
Papillons.
- Mais si, je n’oublie pas les visages.
Les culs non plus, je parie, se dit-elle pour se décontracter, elle aimait se faire rire intérieurement, en l’occurrence elle ne rigolait pas du tout.
- Ah, ça arrive !
- Mademoiselle, ou madame, vous me rappelez vraiment quelqu’un mais je ne sais pas qui.
- Monsieur, c’est l’heure de pointe, je n’ai pas trop le temps, merci.
Il s’en va, elle souffle.
Chaud.
Il se ravise, fait demi-tour.
- Bon, je me suis trompé, mais peut-on prendre un verre après nos services ?
Prise de court, elle bafouille un oui.

Elle n’en menait pas large, le bruit des roulettes de sa valise sur le trottoir lui semblait aussi assourdissant que les vociférations de son père quelques minutes auparavant ; le mascara bon marché acheté en cachette ne résistait pas aux larmes. En plus, même si elle s’était maintes fois entraînée en cachette, la marche en hauts talons sur les pavés arrondis n’était pas une sinécure.
Elle l’avait décidé, dit et fait, très bien, mais elle était bien dans la mouise. Son pécule de job d’étudiant ne tiendrait pas longtemps et vu ses projets, il allait falloir en trouver un fissa.
Un abonnement téléphonique minimum, internet en cybercafé, le Forem et la maison d’accueil, des atouts bien dérisoires.
Mais il y avait aussi sa marraine. Pourquoi ne pas tout lui raconter ? Rien à perdre.
Elle l’accueillit comme toujours avec un reste de frigo sous aluminium, un apéro au choix et même des cigarettes sur un plateau, elle recevait à l’ancienne.
- Mais Vic, tu as l’air tout chose !
Un grand flot, tout dire, tout.
Tante Béa, jamais de jugement, toujours de la compréhension.
- Ce n’est pas grave, conclut-elle en rallumant une énième cigarette, il faut vivre comme on le sent, sinon on meurt de l’intérieur. Je déplie le canapé ?

Elle croyait filer en douce, mais il l’attend à la barrière, seule sortie.
- On va au café d’en face ?
Mais pourquoi le suit-elle ?
Un jus de tomate, un coca.
Un signe, toujours ces deux couleurs.
Bon sang, comme la trentaine lui va bien, toujours sapé comme un prince, tant de questions lui brûlent les lèvres envie de tout raconter mais elle ne se résigne pas à lâcher le morceau.
Merde, il a une alliance.
- Alors belle demoiselle, où vous ai-je rencontré ?
- J’ai certainement un sosie ! Mais vous n’allez pas m’interroger comme ça longtemps ? Dites-moi plutôt quelle maladie vous amène dans cet hôpital ?
- Haha, je suis de l’autre côté, celui qui soigne... les femmes !
- Gynéco ? dit-elle d’un air faussement étonné. Vous n’en voyez pas assez pour encore en draguer en dehors ? ironise-t-elle avec un regard appuyé sur sa main gauche.
Il ignore l’allusion et ajoute :
- Ah, quand même un sourire ! Qui me rappelle encore plus quelqu’un.

En tant qu’assistante sociale, tante Béa avait des facilités pour résoudre les cas soc’ comme elle en riait avec tendresse, le challenge lui plaisait en plus car elle considérait Vic comme l’enfant qu’elle n’avait jamais eu. Malgré le vieux PC équipé du poussif Windows 98 à la connexion aléatoire, elles se plongèrent dans les méandres d’internet pour avoir le plus de renseignements possibles. Les choses avaient bien évolué depuis le nouveau millénaire, on trouvait même quelques blogs sur le sujet généralement bien étayés.
Leurs histoires, c’était son histoire.
Ça lui faisait un bien fou de se rendre compte qu’elle n’était pas la seule. Surtout, elle réalisait le parcours du combattant qui l’attendait.
- On ne va pas se laisser abattre pour si peu, je vais m’occuper de toi comme si je t’avais faite et tant pis pour mon connard de frère ! s’enthousiasma Béatrice, mais préviens ta mère d’où tu es quand même.
- Mouais, elle ne m’a pas fort défendue.
- Il faut la comprendre aussi, c’est quand même un choc, elle t’aime, même ton père t’aime mais il ne le sait pas, il n’a jamais appris, papa n’a jamais été tendre avec nous. Bon, on prend les rendez-vous ?
Victoire passa sa première soirée détendue depuis longtemps, en robe de nuit et mules fuchsia à se limer les ongles, les pieds sur les genoux de sa tante en regardant Thelma et Louise, leur film préféré.
- On va encore pleurer à la fin ma chérie ! s’exclama la tante.
Elle fondit en larmes, première fois qu’on l’appelait comme ça.

Vite rentrer à l’appart, vite sortir la seule photo de classe sauvée de sa rage destructrice, elle ne voulait plus se voir avant, ni voir sa famille qui ne l’avait pas soutenue. Ils se croisaient aux enterrements, sa mère lui lançant désespérément des regards suppliants.
C’était sa vie d’avant.
D’avant sa naissance.
Un deuil à faire, et c’était fait.

Sur l’épreuve de mauvaise qualité, elle contemple Paul, la dépassant d’une tête, aussi blond et souriant qu’elle brune et maussade.
Regrets désuets, de toute façon, il est marié.

Coup de sonnette, elle n’attend personne.
- C’est moi !
Paul ! Il a dû la suivre. Elle actionne l’ouverture, advienne que pourra.
Il s’encadre dans la porte, lève fièrement un pack de bières.
- Une petite Heineken, Victor ?

Girls don’t cry.

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A suivre si vous le plébiscitez !

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