Saison 2.8 : La crève

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

thermometre.jpgOn devait le secouer sans le casser pour s’assurer que le mercure redescende bien sous le fatidique nombre 37. Même si une petite montée de fièvre pouvait paraître très intéressante pour l’attention que tu allais susciter, à l’âge où tu n’as guère le pouvoir sur ce qu’on fait de ton corps, la pose du thermomètre, que tu n’es pas encore censée pouvoir garder sous l’aisselle, était somme toute excessivement désagréable. D’autant que la lune à l’air, l’engin fiché dans le fondement à la merci, au mieux, du moindre pet ne me semble rétrospectivement pas une technique énormément plus fiable.
Éventuellement, un peu plus âgée, tu pouvais le tenir sous la langue mais étant donné les potentialités de son usage précédent, le dessous de bras restait l’option la plus convaincante.

Bref, même s’il fallait passer par ce moment déplaisant, une bonne petite fièvre était une garantie de rester à la maison quelques jours mais selon la gravité de la maladie, on subissait le passage du Docteur (oui, à cette époque, en l’absence de pénurie organisée, les médecins pouvaient encore se permettre de laisser leurs patients au chaud, merci le numerus clausus).
Dans un clac impérieux, il ouvrait sa valisette de cuir noir en brandissait le susdit tube telle une baguette magique pour mieux le r-enfourner dans cet endroit intime qui n’en demandait pas tant, histoire sans doute de vérifier que personne n’avait fait chauffer l’embout sur le radiateur et l’avait dérangé pour rien !
Alors que tu tremblais de fièvre, nue, tu te tapais le stéthoscope glacial, une visite lumineuse de ton tympan, les coups sur les rotules, les doigts pressant le bide et le bâtonnet au fond de la gorge prête à dégueuler.
Tout ça généralement pour l’apaisement maternel, un certificat médical et du repos, l’horrible poire aspirante, des sirops sucrés et parfois des antibiotiques quand une otite, une angine ou une amygdalite pultacée* te faisait préférer l’idée de te faire gronder par madame Ronvaux, ton institutrice autoritaire de sixième, pour quelque raison que ce soit, debout raide paniquée derrière ton banc ! Vision finalement moins cauchemardesque que les rêves angoissants dus à la montée de température qui te faisaient réveiller en sursaut le front moite et où tu avais certainement approché l’enfer promis pour les âmes perdues, le cœur battant la chamade, les oreilles et la gorge transpercés d’aiguilles au milieu d’atrocités dignes de Jérôme Bosch.

La grosse différence entre se choper la grippe enfant ou adulte, c’est que tu la sens venir, que tu sais que tu dois te mettre au lit avec seul un toupet de cheveu émergeant de la couette et qu’on te foute la paix en s’occupant un minimum de vérifier que tu n’es pas morte de soif, de faim, voire d’un cancer galopant, sauf que personne ne s’en inquiète.
La dernière éventualité étant de facto anxiogène, c’est certain tu vas mourir.
Pourtant si tu es indépendant, tu ne peux pas prendre congé et tant que tu as charge de jeune famille, c’est de toute façon la seule option, maman malade, ça n’existe pas.
Donc tu travailles.
On te dit qu’un virus soigné ou pas dure sept jours.
Bon, oui, te rouler en boule au plumard avec un Sédergine 1g toutes les six heures, des sprays collutoire et nasal à portée, améliore quand même ton état plus rapidement que de sortir, cracher et éternuer à la gueule de futures victimes innocentes avant de s’effondrer en grelottant dès qu’on ne te voit plus.

Rendons à César la vérité sur mes petiots, quand tes enfants sont assez grands pour te faire un sachet de soupe, t’apporter de l’eau et même aller chercher tes médicaments tu survis beaucoup mieux mais les oiseaux finissent par quitter le nid et tu peux re-trépasser à ton mal-aise.

De nos jours, le mesurage de la flambée fiévreuse s’est vraiment simplifié, les jeunes générations ignorant à quoi elles échappent, une légère pénétration auriculaire non humiliante ou mieux, un thermomètre infrarouge n’exigeant même plus de contact, mais même sans thermomètre, tu pourrais dire au demi-degré près ta température, sauf si les cauchemars apocalyptiques typiquement enfantins sont de retour, signe d’un dépassement du 39° alarmant mais heureusement, à part acnéique, Bobonne n’a plus eu de poussée affolante depuis des lustres.
En effet, au bout de six décennies tu commences à connaître ton vieux corps, l’importance et la teneur des soins à lui prodiguer, seule.
Au premier éternuement tu t’inquiètes, très mauvais signe. Il paraît qu’on ne tombe pas malade parce qu’on prend froid mais parce qu’un vilain microbe tel un Gremlin malencontreusement mouillé profite de ta faiblesse, Bobonne qui frissonne a du mal à y croire, toute rationnelle est-elle.
Puis, au choix, outre une subite lassitude et des muscles endoloris, suivent d’autres symptômes, une légère céphalée, les yeux qui picotent, tu te rends vite compte du trajet exact de ton conduit auditif, du positionnement de ton arrière-gorge et de l’épaisseur de ta luette et la production excessive de morve qui obstrue tes fosses nasales achève de te confirmer le cruel diagnostic.

C’est parti pour ta crève annuelle.

Cette semaine, on en est là, entourée de sa pharmacopée et de ses mouchoirs, Bonbonne lutte vaillamment dans son canapé devant les téléfilms de Noël à la con entre deux siestes et s’offre le luxe de ne pas en faire une, ou presque, le troisième âge et la pré-pension ont leurs avantages.

Un bon grog, ça décongestionne Bobonne.

Mais il faut le faire.

Ce sera donc un whisky dry !

Santé ! Si j’ose dire.

* Si vous en avez le courage, allez voir les images d’une amygdalite pultacée (que j'ai réellement subie) qui renvoie l’angine blanche à une maladie de gnognote !
** On en apprend en faisant des billets toutes les utilisations des thermomètres infrarouge ici

Une pensée pour Annie Lemoine, journaliste et écrivain qui deviendra dans quatre jours, une des dernières néo-sexas de l’année 2017 .

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://accessit.be/index.php?trackback/91