Semaine S-31 : La télévision, ma meilleure ennemie.

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

courrier-course.jpgJe suis née un an après le premier journal télévisé 100% belge à une époque où la RTB n’émettait que quelques heures par jour.
Ça fait vieux !
Tout comme me dire que ma grand-mère paternelle est née un an avant l’invention du cinématographe des frères Lumière (1895) et mon père un an après la sortie du premier film parlant (1927) !
Comme quoi, dans la famille, on sait reconnaître les dates importantes pour gaiement vagir dans ce monde impitoyable mais entouré de merveilleux télévisuel.

L’année de mes huit ans, mon père en bon ingénieur féru de nouvelles technologies, dépensa un mois de salaire pour acquérir et ramener en grandes pompes le poste en bois laqué et à l’écran rebondi, c’est peu dire que cette journée fut une des plus inoubliables de ma courte vie, l’appareil promettait la modernité, l’ouverture sur le monde qui entrait enfin dans le salon, sans avoir à le parcourir.

Une seule chaîne débutant son programme en fin d’après-midi avec l’apothéose, le "journal parlé" qui, même en noir et blanc, remplaçait avantageusement la radio à transistors qui faisait "fouf !" quand on l’allumait et mettait un certain temps avant d’être chaude, ce que j’étais totalement dès que j’avais droit au nouveau Saint Graal !
Les souvenirs du premier pas sur la lune (suspendus nous étions), les assassinats des Kennedy, de Martin Luther King, la guerre du Vietnam, moments sidérants, ont baigné et sans doute construit mon enfance. C’était fort et en ce temps où je croyais en Dieu, je priais pour que ces horreurs s’arrêtent !
Heureusement il y avait Bébé Antoine qui semait le sable avant le Jt, les Galapiats, Sébastien parmi les hommes et Feu vert, et tant de séries inoubliables, Les cinq dernières minutes, La demoiselle d’Avignon, Chapeau melon et bottes de cuir, tout était formidablement addictif, déjà.

Que dire des soirées où j’étais tapie discrètement et en toute impunité sous la table de la salle à manger, redescendue sur la pointe des pieds sans faire grincer ni portes ni marches, pour voir ce film qui m’était interdit !
Toutes ces fois, où censée être au lit pendant que mes parents étaient de sortie, je guettais sans cesse leur arrivée par la fenêtre de la loggia priant pour que ma séance cinéma se termine (bien) avant la leur, remontant les escaliers quatre à quatre, pestant du "tic tic" que faisait la télé en se refroidissant et qui aurait pu me dénoncer.
J’étais dingue des comédies musicales.

Puis vint la couleur et le "câble" et on dut choisir.
Sans télécommande, la zapette, c’était ma sœur et moi !

Les dimanches après-midi familiaux étaient généralement assez léthargiques et unanimes, après le poulet dominical, Jacques Martin nous faisait sourire avec L’école des fans et rire avec le Petit Rapporteur. Le reste du temps, c’était un peu la bagarre entre la passion du père pour les westerns et films de guerre et celle de ses femmes pour les shows de Maritie et Gibert Carpentier, les Midi de Danièle Gilbert et autres programmes légers.

A partir de ce moment-là, extension des programmes tant en quantité qu’en plages horaires étendues aidant, la tentation était de plus en plus forte d’appuyer sur l’attractif bouton, devrais-je dire fatidique ?

Et puis un jour, je pus participer, c’était moi qui entrai dans la petite lucarne !

course-autour-monde.jpg"La course autour du monde"* proposait, au terme d’une sélection préalable, à huit jeunes de quatre pays francophones âgés de 18 à 25 ans de passer quatre mois à réaliser, individuellement et seul, des reportages (super 8 !), cotés par un jury international, sur les cinq continents. Les trois premiers remportaient de l’argent, je fus quatrième mais mon rêve, faire un tour du monde avait été réalisé (et payé par la production, je revins même avec des économies).

Ancêtre de la télé-réalité mais sans ses dérives, il n’y avait ni intrusion dans l’intimité des candidats, ni élimination progressive, ni agressivité, des règles néanmoins.
Si nous ne téléphonions pas deux semaines de suite, le mardi dans les heures de bureau de France (pas facile depuis l’autre bout du monde à l’époque) ou manquions un envoi de reportage, c’était l’élimination.
Mais l’ambiance était bienveillante et ce fut la plus belle aventure de ma vie !

Cette liberté découverte le fut à plus d’un titre puisqu’en rentrant, j’abandonnai la maison familiale pour terminer mes études "chez moi", avide d’indépendance.
Avec une réduction drastique d’un certain confort, je vécus sans câble et avec pour toute TV, un petit poste "noir et blanc" qui captait les deux chaînes belges dans un brouillard quasi londonien grâce à une antenne se composant d’un fil électrique terminé par une aiguille à tricoter.
Après un mois de sevrage télévisuel progressif pendant lequel je passai quand même mes dernières soirées chez mes parents, je fus donc assez rapidement débarrassée de mon assuétude au profit de nuits dans le Carré** tout proche, après étude consciencieuse bien entendu...
Mes potes étudiants étaient néanmoins contents de venir chez moi de temps en temps regarder un film tout en faisant un scrabble et sirotant un martini premier prix qui nous faisait oublier tant la qualité de l’image que la sienne !

Pendant 35 ans je me contentai des émissions hertziennes belges, pas par auto-flagellation mais pour profiter de la vie et de mes enfants qui n’eurent d’autres choix que de s’occuper à plus créatif en dehors des rares émissions qui leur étaient destinées.
De mon côté, dans les cas d’extrême urgence, genre un match de tennis à ne pas manquer, j’étais patiemment accueillie par des amis compatissants !

Mais voilà, les jeunes partis et l’abandon des émetteurs classiques par la RTBF m’obligèrent à me re-lier au câble.
La privation a ses limites.
Depuis, j’ai renoué avec les chaînes françaises en me disant que je n’ai pas perdu tant que ça, la production belge étant, de mon point de vue, nettement meilleure et surtout bien moins superficielle et égocentrique.

La TV empêche de faire d’autres choses disent les détracteurs, en extérieur oui, sans doute tiens-je de mon père qui la suivait tout en lisant et jouant une partie d’échecs avec moi ou son jeu électronique (il y a 40 ans, oui, ça existait) car il faut vraiment que le programme me passionne pour que je ne fasse que le regarder, c’est d’ailleurs un bon test pour juger de la qualité d’un film !

Je lis partout que la télévision est en danger car n’est plus guère prisée par la jeune génération préférant la vision du "n’importe quoi n’importe quand" à la carte, ce qu’offre le web.

L’ennui c’est que je suis accro à internet aussi !

* "La course autour du monde"
** Le Carré, quartier de Liège particulièrement festif

Cette semaine je déroge à la mise en valeur de femmes nouvellement sexagénaires pour rendre hommage à un néo-sexa Jean-Luc Fonck sans qui le surréalisme belge ne serait pas tout à fait le même !

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