Semaine S-37 : Le vrai Bio des années d'or !

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

jardin.jpg Je ne suis strictement allergique à rien de comestible, je ne comprends même pas comment on peut être sensible à tant d’aliments. Je mange de la viande, digère le gluten, je peux boire du lait et j’adore le fromage. Un œuf par jour ne me donne pas de cholestérol, pas de souci à saler (raisonnablement) mes mets, je bois du vin et de la bière.
Je crois finalement que je suis née au bon moment.

Mes grands-parents qui nous accueillaient une grande partie des vacances, entretenaient un potager de plus de 500 m², six grands carrés séparés de sentiers bordés de briques sans une mauvaise herbe, Mamy y veillait.

Une grande partie de la surface était réservée aux "crompires"* qui allaient remplir la cave pendant un an mais le reste de la parcelle offrait tous les légumes basiques de l’époque dont les laitues, que je détestais, enfin trouvais surtout insipides, sempiternel accompagnement du menu charcuteries du dimanche.

Je pense qu’il n’y avait pas d’usage de pesticides ni d’herbicides mais un entretien manuel journalier consciencieux. Évitant meurtres au sel ou aux ciseaux, trois plantes semblaient manifestement servir de logement privilégié aux gastéropodes ravageurs que nous y cueillions pour réaliser des courses dans des mini jardinets reconstitués dans des cageots et l’engrais provenait d’une sorte de fosse septique à ciel ouvert que, la voisine dépourvue de toilettes, alimentait en saines bactéries, à raison d’un bon seau quotidien de ses productions intestinales.

Le jardin était un paradis, outre magnifique circuit pour vélo ou trottinette, c’était une réserve de coupe-faim à la bonne saison, c’est là qu’on pouvait déguster la fraise, la groseille rouge ou à maquereau cueillies juste à point de maturation dans un circuit court imbattable. L’énorme verger attenant offrait également prunes, reine-claude, pommes et poires à profusion et même quelques pêches palotes quand l’été avait été particulièrement clément.

Alors que Bon Papa était aux culture et récolte, Mamy était à la cuisine s’afférant autour de l’énorme cuisinière émaillée à charbon "Ciney" sur laquelle bouillait le grand chaudron pour stériliser les bocaux.
Au fur et à mesure des collectes, les légumes de saison étaient mis en conserve. Il fallait les nettoyer, parfois on donnait un coup de main de bon coeur bien qu’on nous laissait le plus souvent jouer. Le plus laborieux était le plus gai, l’écossage des petits pois. Assise sur un tabouret, un seau entre les jambes, je prenais la gousse ventrue, d’un coup d’ongle je la fendais avant d’en éjecter les graines d’un pouce assuré, à l’occasion je mangeais tel quel le pois tombé hors de la cible.

Dans la cave jouxtant celle des pommes de terre, s’alignaient au fur et à mesure les bocaux d’oignons, haricots, carottes et des célèbres prunes au vinaigre qui allaient nous régaler l’hiver venu accompagnés de toutes les sortes de chou et autres poireaux saisonniers.

Côté protéines animales, après avoir récolté les oeufs du poulailler encore décorés d’une plume de duvet collée par un zeste de fiente, je risquais l’intégrité de mes mollets dans ce verger tondu par une section d’oies de garde, tous sifflements et langues dehors. Ces sentinelles agressives, insensibles aux orties y tournaient leur nid et y pondaient leurs énormes œufs, pesants trophées âprement gagnés et ramenés triomphalement auprès de Mamy qui en faisait, selon son humeur, une énorme omelette parfois sucrée ou de délicieux gâteaux au lait de la ferme d’à côté bien entendu.

Ces sales bêtes qui faisaient quand même peur, on finissait par les déguster en bouchées à la reine ainsi que les bouillons de poule, coqs au vin et autres pigeons champions déchus de mon grand-père colombophile !
Oui, j’ai vu des poules décapitées courir dans une ultime tentative nerveuse d’échapper à la casserole !
On ne faisait pas de manières à l’époque.
A la boucherie de mon oncle ayant repris l’entreprise familiale et fournissant la famille, j’adorais voir tous ces quartiers de viande, les grands coups de hachoir du tonton et cette machine fascinante pour faire boudins et saucisses qui dégueulait sa farce dans des boyaux tout frais qu’on m’autorisait parfois à tordre afin d’en débiter des tronçons.

Bien entendu, nous repartions à la ville chargés de ces trésors. Avant l’apparition des premières grandes surfaces (fin sixties) on s’alimentait quasi uniquement dans la rue commerçante la plus proche, la célèbre rue Saint-Gilles. Sur 500 m, il y avait épiceries, boulangers, bouchers, maraîchers (qui emballaient les légumes dans du papier journal), poissonnier et même volailler. Le laitier et le brasseur faisaient la livraison à domicile (un véhicule desservant le quartier plutôt que 100 voitures qui se déplacent), tout était consigné et on réutilisait les sachets de pain car payants.

Mes enfants n’ont pas connu ça.

Evolution commerciale aidant, il était devenu beaucoup plus facile de faire ses "courses du samedi" d’un coup et de remplir les grands sacs en papier "gris" qu’on transportait en famille, avantage relationnel dirais-je.

Mes enfants n’ont pas connu les sacs papier non plus.

Pour le reste, pas besoin de faire un dessin, malgré les grandes tendances écologiques de mon adolescence, on s’est, et moi la première, vautré dans la facilité.

J’ai bien fait un mini potager dans mon grand jardin, j’ai eu les succès de débutant surtout dans les herbes aromatiques mais ces dernières années l’afflux massif de limaces voraces et d’escargots baveux ont bridé mon bel enthousiasme, mes dos et genoux aussi, mais c’est juré, je vais m’y remettre, potager sur table, tu vas être à moi !

Élevée aux légumes bio sans savoir qu’ils l’étaient, emballages non toxiques (oui, ok, l’encre un peu), dégustant des conserves maison, pas de plats préparés sauf choucroute, raviolis et cassoulet en boîte (quand même hein, j’ai pas cent ans) la tendance est de plus en plus à la consommation de mon enfance, la boucle est bouclée.

Circuit court**, participation, responsabilité, achats en vrac, zéro déchets, on va carrément plus loin. C’est vrai qu’on revient de loin. Il y a quand même chaque jour des pubs pour de nouveaux produits sur-emballés le genre biscuit avec petit pot de sauce pour le tremper dans une double coque, les canettes sont enrobées de plastique, les sodas et eaux sont rarement dans des bouteilles en verre. On a dû inventer le recyclage alors qu’avant il n’était quasi pas utile puisque, outre une économie de contenants, les machines fonctionnaient à vie*** !

Il y a du travail pour changer les mentalités mais je constate que beaucoup de jeunes, hélas pas tous, de la génération de mes enfants sont fort heureusement extrêmement impliqués dans la qualité de vie.

Vive les jeunes !

* Crompire : pomme de terre en wallon
** GAC : Groupe d'achat en commun
*** L'obsolescence programmée, sujet à venir

Découverte d’une écrivaine néo-sexa inconnue mais peut-être à découvrir Lorrie Moore.

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