Saison 3.1 : Mes grands-pères à la guerre.

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

georges-de-troyer-richard-scafs.jpgDécembre 1918

La guerre est finie depuis un mois mais l’évacuation ne se fera pas sur le champ (même d’honneur), malgré tout, Richard et Georges ont retrouvé le sourire depuis qu’ils ont entendu les cloches des églises annoncer la bonne nouvelle.

Le premier avait pataugé transi dans les tranchées de l’Yser, l’autre avait suivi les commandements qui lui avaient été attribués dans la même zone, en tant que jeune officier de 22 ans, il avait sans doute moins souffert que l’adolescent engagé volontaire à 16 ans !

En attendant pour l’un d’être définitivement démobilisé et pour l’autre de rejoindre sa caserne, ils avaient la permission de rentrer pour les fêtes.

Sur le chemin de la province liégeoise, eux qui ne se connaissaient pas encore, se sont peut-être croisés.
Même expérience, si jeunes, future descendance commune.

Georges
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Militaire était le métier qu’il avait choisi comme son père, qui l’attendait avec impatience dans la maison bourgeoise familiale qu’il avait fait construire solidement exactement 20 ans auparavant et qui n’avait heureusement pas souffert de la guerre.
Il retrouva Marie dont les cartes postales avaient adouci ces quatre années sur le front.
Il lui tardait de l’épouser et de lui faire une ribambelle d’enfants pour peupler un jour la grande bâtisse conçue pour ça, il n’avait eu qu’une soeur et une grande fratrie lui avait toujours manqué.
Georges avait gardé des photos imprimées directement sans agrandissement de quelques sites ravagés où il avait été caserné, parfois, au verso, un petit texte pour situer la prise.
De temps en temps il les ressortait discrètement, comptant ses amis disparus, jamais il n’oublierait, jamais il n’en parlait.

Il avait sans doute fait sienne une des introductions de chapitre du Livre d’or de la carte du feu qu’il avait commandé* :

Vous … 5A. (cinquième régiment d’artillerie)
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Un régiment… Oui, plus… Une pléiade de Héros.
Héros tous, oui… Parce que je les ai vus. Oui je les ai vus, chanter, rire et pleurer. Je les ai même vus mourir.
Vision dantesque, que ces visages osseux, hirsutes, halés par le vent, le soleil, noircis par la poudre, au service de leurs pièces.
Plus effroyable encore l’expression de leurs pauvres yeux de blessés ou mourants.
Leurs titres de gloire Katter Meuter Bosch, Anvers, Dixmude , Steenstraat, Boesinghe, Balgerhoek.
Vous narrer leurs exploits… Un sacrilège, chaque titre étant inscrit en lettres de sang sur le bouclier de leur pièce.
Vous qui les avez vécus, gardez-en pieusement le souvenir, c’est votre patrimoine, nul n’a le droit de vous le ravir.
Revivez exploit pour vous pour vous seul et si un jour meurtri dans votre âme et votre chair, vous vous laissez aller à des confidences, chuchotez-les, les morts aiment dormir en paix… Et puis ce n’est pas une ombre qui en fait le récit ?
Jules Voirol, ex-Maréchal des Logis V. de G. Chef de pièce à la 80e batterie.

marie-georges.jpgL’esprit et les bras bien occupés par ses six enfants et sa douce Marie, les années folles passèrent trop vite jusqu’à ce que la peste réapparaisse et surtout qu’ Elle meure de tuberculose, il n’était déjà pas souriant de nature, il ne le fut plus que rarement.

Il rempila pour 39-45 mais c’est une autre histoire.

Décédé un an avant ma naissance, je ne le connus jamais.

armee-14-18.jpgabri-14-18.jpgbrancardiers-2.jpgeglise-woesten.jpg

Quelques des nombreuses photos retrouvées au fond de boîtes...


Richard
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Il était heureux, ses trois frères et lui avaient survécu ! Il allait pouvoir retrouver sa famille et retravailler dans sa chère boucherie avec son père et son frère.
Sans doute la fête fut grandiose car qu’une famille entière survive était rare ! Je les imagine sortir le jambon salé mis de côté malgré les privations, le pain frais et quelques sucreries réservées pour l’occasion, le tout arrosé d’un coup de genièvre hollandais ramené de leur pays d’accueil provisoire.
Les menaces de guerre ont dû apparaître bien avant l’assassinat de l’archiduc car en avril 14, il était déjà sous les drapeaux, lui, un adolescent !
Richard ne prenait pas de photos mais écrivait le plus possible en fils et frère aimant, florilège non exhaustif :

Le 24-4-14
Très chers parents,correspondance-guerre.JPG
Je vous écris ces quelques mots pour vous faire savoir que je suis toujours en bonne santé espérant que vous en êtes de même ainsi que toute la famille.
Maintenant je vais vous dire quelques nouvelles, vous demandez dans quelle régiment je suis, nous ne le savons pas encore, on dit que nous allons être versés dans l’armée anglaise et à la boucherie quand nous sommes arrivés, il y avait un boucher venu de Valognes mais vous n’avez rien à craindre nous avons encore pour au moins deux mois si pas plus car nous avons reçu notre fusil le 22 avril et avant de partir il nous faut encore être habillés de nouveau car pour partir on est habillé très chaud et pour apprendre tous les exercices pour trouver le moyen de détruire le plus de bo… (boches NDLR) possible.
J’ai appris par une lettre que Jean Rony avait envoyé à Camille que mon frère Achille allait partir, dites-lui qu’il ne vienne pas, que sa classe n’est pas rappelée et qu’il y en a assez avec trois chez nous, ce n’est pas parce qu’on n’est pas bien au contraire. Je suis très (manque un mot fier, content?) d’être parti faire mon devoir. Quant aux nouvelles de Slins, je suis très content car on aime bien de recevoir des nouvelles de son village et des connaissances qui sont restées sous les ordres des bo...
regiment-richard-scafs.jpgMaintenant, comme on n’a pas beaucoup de temps je vais vous parler de vaccins, pour commencer je vais vous dire que cette lettre est écrite une demi-heure après être vacciné et que si cette fois va comme les autres et bien ça se passera très bien que je n’ai pas trop souffert quand vous m’écrirez encore faites moi une bonne grande avec beaucoup des nouvelles si vous avez le temps.

Donc, chers parents, recevez les baisers de votre fils Richard.

Maintenant je reçois très souvent des nouvelles de François et de Jean (ses frères NDLR) presque toutes les semaines ce qui me fait un grand plaisir.
Faites les compliments à mon frère Achille s’il est toujours là et à toutes les connaissances qui sont en Hollande.


Le 4-8-15
kaaskerke.jpg ./..le sirop est très bon quant au chocolat il n’y a pas besoin de le dire vous savez bien vous-même qu’il est très bon et surtout ma mère doit bien écouter ça car je me rappelle toujours que mon père disait que vous ma mère vous aimiez très bien les « bobonnes »** il ne faut pas prendre ça de mauvaise part car moi j’aime toujours bien de rire un petit coup.
Maintenant a raison (au sujet ? NDLR) de Jean, il est arrivé au front le 18 de ce mois il est toujours en bonne santé car j’ai reçu des nouvelles de lui aujourd’hui et il me dit qu’il va aller aux tranchées mais je vous assure qu’il va bien s’amuser car les Boches ne sont pas méchants et ils tirent de temps en temps une balle qui passe toujours à côté des soldats belges car nous sommes blindés.
J’ai aussi à vous dire que voilà presque quatre mois que je suis arrivé au front et je vous assure que les Boches ne m’ont pas encore fait avoir peur et pourtant j’ai été très près d’eux, peut-être à une quinzaine de mètres mais je vous rassure encore et je vous dis qu’il ne fait pas dangereux quant à Achille, il me dit qu’il en a encore pour trois mois mais je lui ./...


Front, le 6-12-15
boyau-dixmude-mars-1916.jpgMaintenant vous me dites sur la dernière de vos lettres que vous m’avez envoyé un imperméable pour ma Saint-Nicolas et bien ça me fait fera un grand plaisir maintenant il pleut assez souvent et alors on est content d’être bien garanti car on a pas de feu pour se sécher pour le moment je ne l’ai pas encore reçu.
Maintenant vous me demandez qui lave mon linge et bien tous les 15 jours le linge part à Calais et moi je donne toujours deux chemises un caleçon trois paires de chaussettes une vareuse pour mettre en dessous de la chemise et ils m’en reste autant pour quand le linge est parti et nous recevons tout ça bien propre.
Vous me demandez si je suis bien habillé et bien j’ai à vous dire que j’ai un sac qui pèse près de 20 kilos tellement j’ai du linge donc je n’ai jamais eu froid jusqu’à maintenant. Je finis ma carte je dois encore me raser chers parents et écrire à mes frères.

Recevez chers parents les baisers de votre fils Richard.

richard-jeanne.jpgRichard épousa Jeanne 10 ans plus tard et eut deux enfants son frère Jean épousa la soeur de Jeanne, Catherine.
Aucun des deux ne voulut plus jamais aller à la messe car leur aumônier était passé à l’ennemi, ils n’acceptèrent jamais cette trahison.
Comme beaucoup, rarement Bon-papa parlait de la guerre et s’il s’y risquait, pour nous, enfants, cousins issus doublement de germains, c’était déjà si loin. Seules les deux douilles d’obus ciselées, encadrant l’horloge sur la cheminée, témoignaient de la réalité de la grande guerre.
Il détesta les bo… toute sa vie d’autant qu’ils remirent le couvert, il appelait toujours les allemands comme ça, en famille, sauf quand son petit-fils venait avec son épouse allemande séduite durant son service militaire en Allemagne !

Quelques cartes postales témoins du passé, on savait rire à l’époque...

correspondance-militaire.JPG prise-mulhouse.jpg bataille-marne.jpg musee-invalides.jpg



’’Extrait du "Le Livre d’Or de la Carte du feu" édité par la maison d’édition J. Rosez à Bruxelles au cours des années trente avec une édition ultime en 1940. Il reprend des noms et des photos de vétérans de guerre titulaires d’une Carte du Feu. livre-carte-feu.JPG
Le vétéran qui désirait être mentionné dans le livre était prié de remplir un formulaire dans lequel il citait les distinctions honorifiques qu’il avait reçues. Le même formulaire lui permettait aussi de commander le livre. Afin de contrôler l’exactitude des informations, des visites eurent lieu au domicile des intéressés qui devaient alors pouvoir présenter les preuves voulues. Une partie du bénéfice de la vente était versé au profit du "Fonds des grands invalides. 

** Bobonnes : dans ce contexte, désigne des bonbons et autres friandises dans la région de Liège (et peut-être plus loin).
Nota Bene : les photos n’illustrent pas forcément exactement le propos adjacent.
J’ai, bien entendu, dans ce billet, imaginé le retour de mes grands-pères en famille, si vous voulez en savoir plus sur vos aïeux ayant bataillé, ici le dossier bien complet de la RTBF réalisé par équipe d’historiens, 4 hommes, 4 femmes ...

En espérant que ma génération (belge), ainsi que nos descendants, reste une des seules qui n’aura jamais connu la guerre.
Mal barre ...’’

Edit 11-11-22 : Malheureusement, il s’avère bien que ça nous pend sous le nez !

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