Saison 2.4 : Sociologue des bobos

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

gene.pngA cette époque où pullulent par le biais de toutes sortes de médias les infos les plus diverses concernant le bien-être et la santé, il est de bon ton de s’en gaver. La normalité, la maladie physique et mentale, la recherche constante d’un mieux-être (rendue quasiment obligatoire sous peine de déphasage social), les compléments alimentaires, les pilules du bonheur… tous ces éléments doivent être intégrés dans notre quotidien parfois palpitant.

Aussi loin qu’ils remontent, mes souvenirs baignent dans le monde paramédical et médical. Je suis née en bonne santé, occupant sans aucun mérite ni gloire la quatrième position dans une fratrie qui s’agrandira, cinq ans après ma naissance, avec l’arrivée d’un petit frère. Pendant ces cinq années glorieuses, je fus chérie dans ma condition de rawette*. J’étais petite, toute petite. J’étais sensible, très sensible. Et malade… souvent malade.

Lorsque notre Bobonne en chef - qui pour moi s’appelait alors Baloo et ne pouvait avoir d’autres intérêts que la vie avec les louveteaux – décida de quitter notre meute pour d’autres ailleurs, elle eut l’excellente idée de nous offrir à chacun un dessin d’adieu personnalisé. Le mien présentait un personnage déjanté, les cheveux ébouriffés, plein d’énergie et le texte mentionnait « Et c’est parti pour cinquante ans de santé de fer ! ». J’avais trouvé ça touchant. J’ignorais toutefois que le fer… ça rouille !
Aucun de mes trimestres scolaires ne s’est écoulé sans une absence pour maladie. Pas un seul de mes week-ends ou camps scouts n’a pu se dérouler sans une prise de médocs, des précautions particulières liées à la préservation de ma santé ou l’utilisation d’une paire de béquilles.

Ma mère s’est très tôt préoccupée de mon alimentation. Ma micro taille ne pouvait justifier à elle seule que je m’alimente si peu. Comble de la vexation maternelle, j’ai refusé de consommer du lait à un âge où mes congénères s’en nourrissaient encore parfois exclusivement. La malédiction était manifeste : carences en vue et fragilité ad vitam. Une fois le label « chose fragile » apposé sur ma petite personne, il est évident que mon corps a fait preuve d’une créativité constante (et toujours d’actualité) pour manifester son désarroi.
Vers l’âge de deux ans, en vacances familiales dans un camping breton, j’ai commencé à puer du bec, à manger encore moins et à sourire peu – trois attitudes peu compatibles avec l’épanouissement de la famille en période de vacances. La visite chez un médecin local révéla une crise d’acétone dont l’origine se cachait « simplement » dans la profonde tristesse que je ressentais à l’idée d’avoir abandonné mon chat à la maison. J’ai vite accepté de manger à nouveau, à condition qu’on me serve des petits pots pour bébés (une abomination pour ma mère dont la passion culinaire n’avait d’égal que l’énergie qu’elle mettait à nous gaver). La marque de ces pots devait, à coup sûr, être Gerber. Chasser les vomissements à coup de Gerber, voilà qui est ironique. Dois-je y voir l’origine de mon penchant pour les (jeux de) mots ?

Ont ensuite commencé les années ORL : angines, otites, rhinopharyngites, sinusites et autres joyeusetés respiratoires ont jalonné mon enfance. Suivant les injonctions maternelles, je fus contrainte de porter chaque année et pendant de trop longs mois, une cagoule – qui ne me prémunit ni des infections ni des quolibets dont mes condisciples ne manquaient pas de m’accabler. Les années passant, j’ai pu troquer l’affreuse et inutile cagoule pour un tout aussi inutile mais moins dégradant bonnet.
Âgée de 7 ans, je découvris dans une cachette de la ferme de mon parrain une trousse datant de la première moitié du XXème siècle qui contenait des trésors d’un autre temps, dont des crayons à l’aniline. Mystérieusement, quelques jours plus tard, je rentrai de l’école avec l’oreille gauche … mauve. Comment une fraction de mine à l’aniline a fait son chemin dans mon orifice auriculaire jusqu’au tympan, nous ne le saurons jamais. Ma précieuse membrane vibratoire s’est retrouvée sérieusement percée et je sombrai pour quelques années dans une semi-surdité confortable dont le vieux médecin qui me soignait ne s’émouvait guère. Pendant tout ce temps, je ne pus plonger ma tête dans l’eau et fus dispensée de la tyrannie des cours de natation et je n’eus ainsi plus à hurler, terrorisée et accrochée au bord du bassin sous les yeux ahuris de mon professeur d’éducation physique.
J’avais presque 10 ans quand un médecin ORL au fait des techniques modernes décida de procéder à une greffe de tympan. En 1979, je passai donc une dizaine de jours à l’hôpital. Ce séjour reste gravé dans ma mémoire à jamais car j’avais reçu pour la circonstance un peignoir rose (un truc de fille donc, rien à voir avec les fringues masculines que me cédaient mes frères) et deux robes de nuit « de princesse », avec rubans et froufrous dont je ne me suis lassée que lorsque j’ai réalisé que finalement… c’était moche comme tout. Plusieurs décennies plus tard, je suis persuadée que mon passage à l’hôpital est aussi resté gravé dans la mémoire du jeune médecin qui dût subir mes larmes et mes cris lorsqu’il aspira les pansements déposés sur le frais tympan qu’il venait de me reconstituer. Ce moment d’horreur s’est terminé par une session mictionnelle imprévue : j’ai pissé de terreur sur la table d’examen.

Mes camps louveteaux, je les débutais souvent ma trousse médicale à la main. En 1981, pourtant, je n’en étais pas munie quand je suis arrivée à mon dernier camp en pull vert. J’avais 12 ans et ma sœur venait de se marier ; je trouvais ça très cool. Très cool. Et très triste. Mon basculement dans l’âge dit bête fut brusque et violent. Je passai deux jours à pleurer sans comprendre pourquoi, au plus grand agacement de mes animateurs louveteaux, totalement démunis, qui m’ont renvoyée à la case parentale. Sauf que… mes parents étaient en voyage et qu’il fut convenu que je passe quelques jours « pour me retaper » chez mes grands-parents maternels. Je n’étais pas la seule chez eux : quelques guêpes y étaient aussi en villégiature et souhaitant sans doute créer des liens amicaux avec moi, elles s’installèrent dans mes cheveux pour une partie de cache-cache. Moi, je n’avais pas envie de jouer. Elles l’ont mal pris… et m’ont piqué le crâne. Docile et souhaitant une fois de plus être plus sage que sage, je n’osai en informer ma grand-mère qui ne prit connaissance de l’aventure que quelques heures plus tard quand ma tête, la moitié de mon visage et mon cou eurent pris l’allure d’un potiron malade. La solution qu’elle envisagea fut de me verser un flacon de vinaigre sur mes boursouflures. Curieusement, cela n’eut pour effet que de solliciter mes cordes vocales et de rougir encore plus les zones atteintes. Personne n’a ri, même pas le médecin que je vis en urgence au retour de mes parents, un soir vers 23 heures.

La fin de mon enfance et mon adolescence ont été rythmées par de nombreuses entorses de chevilles. Les causes ? Toutes plus surprenantes les unes que les autres : un caillou lâchement insinué sous ma semelle, une bordure effritée, une randonnée éreintante de… 600 mètres, une danse mal contrôlée, la poursuite d’un ballon… Bref, pendant 6 ans, je fus régulièrement plâtrée et affublée de béquilles pour mes déplacements. Bien entendu, la démarche bancale que je maîtrisais mal provoqua des douleurs dorsales qu’on n’ imagine pas à cet âge. Les kinésithérapeutes en charge de ma revalidation s’invitaient dans mon box pour venir observer par eux-mêmes la curiosité de mes chevilles foireuses dont le positionnement n’était nulle part référencé dans leur syllabus d’anatomie humaine. Une fois de plus, la solution fut chirurgicale et je subis, en 1987 et en 1991, des greffes tendineuses afin de consolider mes chevilles que mes ligaments avaient désertées. Le surnom de « Patte Folle » vint alors remplacer celui de « Beethoven » dont on m’avait affublée pendant ma période de surdité.

Au cours du grand bal des hormones que fut mon adolescence, je m’inscrivis dans la lignée familiale et découvris les affres de la féminité. En mieux, en plus intense, en plus curieux évidemment que ce qu’avant moi avaient vécu ma sœur, ma mère, ma grand-mère. Il fallut que je défaillisse théâtralement un soir de mes 15 ans pour qu’on s’en préoccupât. Une fois les urgentistes ayant éliminé une indigestion ou une potentielle appendicite, le médecin en formation qui m’ausculta fut persuadé que je présentais une grossesse extra-utérine. Je dus donc lui expliquer que je savais comment on faisait les bébés et que je n’avais reçu ni la visite du loup ni celle de l’ange Gabriel. Outre les questions intimes et troublantes auxquelles je dus répondre, ce qui me reste de cet examen médical, c’est la tronche décatie de ma mère déposée maladroitement sur un corps qui semblait ne plus lui appartenir. Prise de vomissements, j’ai cru qu’on allait à nouveau me proposer un petit pot Gerber. Il n’en fut rien (mon chat ne me manquait sans doute pas assez). Le problème était imputable à des kystes ovariens dont un chirurgien (encore !) me débarrassa. Une pilule contraceptive me fut prescrite, ce qui m’épargna toute conversation gênante lorsque la question de la présence de la quéquette dans ma vie se posa.

Pendant les années qui suivirent, je pus parfaire la maîtrise des traitements hormonaux, kiné, anti-inflammatoires ou antibiotiques que j’enchaînais dans le but (parfois vain) de surmonter les attaques à mon corps (qui n’avait pas beaucoup grandi). Blouses blanches et notices de médicaments n’avaient plus beaucoup de secrets pour moi. Toutefois, la maladie thyroïdienne qui s’abattit sur moi peu de temps après le sevrage de mon troisième fils me stupéfia. Qu’était donc cette petite glande en forme de lépidoptère qui régentait anarchiquement mes organes ? Lors d’une première hospitalisation, l’équipe médicale avait occulté la possibilité d’une maladie thyroïdienne et attribué mes symptômes à une maladie mentale dont le traitement me transforma en candidate idéale pour la figuration dans la grande salle de « Vol au-dessus d’un nid de coucou » - immobilité, neurasthénie et bavou** de circonstance inclus. Dix-huit mois de traitement médicamenteux, de yoyo pondéral, de moral dans les chaussettes… Il fallait que ça cesse. A peine l’eussé-je découverte que ma thyroïde me fut enlevée, à mon plus grand soulagement.

Cela ne me permit néanmoins pas d’échapper à la dépression qui apparaît fréquemment dans le décours de la maladie.

Comme je fais rarement les choses à moitié et que décidément, je dois être faite pour fréquenter le monde médical, cet épisode dépressif fut sévère et on me conseilla un séjour dans un service de psychologie médicale d’un hôpital universitaire de la région. Ce séjour-là occupe une place de choix dans ma mémoire et constitue à ce jour le summum de mon expérience socio-médicale. En entrant en larmes dans le service, j’ignorais que j’allais y croiser de beaux spécimens de foirage humain. De la thérapie par la papote au traitement par électrochocs en passant par des ateliers d’art-thérapie, j’ai assisté au grand déballage imaginatif des soignants. Hormis ces traitements parfois impressionnants (j’ai vraiment cru croiser Jack Nicholson après un de ses traitements dans le film susmentionné), j’ai aussi appris et découvert des choses intéressantes ou simplement curieuses. C’est là que je sus ce qu’est la potomanie. Le type qui en souffrait avouait consommer 11 à 14 litres de soda par jour ! Visiblement, cette impressionnante quantité de liquide n’avait pas causé de dommage qu’à son système digestif et la logorrhée dont il souffrait à tout propos m’a épuisée. La Josette qui partageait ma chambre devait être une cousine éloignée d’E.T., ce que j’ai deviné tant par son physique que par ses comportements hautement surprenants. Pour elle, manger trois kiwis peau comprise en un temps limité était une activité matinale obligatoire qu’elle aurait voulu partager avec moi. Je déclinai… Du couloir d’en face exhalait une odeur pestilentielle. Une enquête solidaire finit par révéler l’origine de celle-ci : l’espace interdigital des pieds d’une Thérèse diabétique paresseuse que l’on ne tarda pas à surnommer « la puante ». Quand je quittai le service avec le grade auto-attribué « d’entonnoir d’argent », j’eus non seulement le sentiment d’aller moins mal qu’un mois auparavant, mais surtout celui d’aller beaucoup, beaucoup mieux que les patients que je laissais derrière moi.

Cette fréquentation chronique du monde médical me confère une expertise acquise sur le tas qui me console un peu de n’être pas devenue médecin. Je suis le docteur du comptoir, l’infirmière de garde de mes proches, la traductrice des termes pharmaceutiques en pleine crise d’hypocondrie. Et comme j’aime bien ça, je poursuis ma formation continuée avec application en vivant chaque nouvelle anecdote liée à ma santé comme une occasion unique de parfaire mon expérience et d’observer la vie qui grouille à mes côtés : les bactéries et les virus, les hommes et les femmes, les idiots et les surprenants, les autres et moi…
Je suis la sociologue des bobos.

* Une rawette : wallon, petit(e) rajout(e) et par extension, la petite dernière de la famille (valable pour les garçons aussi).
** Bavou : filet de bave gras qui quitte la commissure des lèvres pour se diriger lentement mais avec détermination vers le sol (note de l'auteure).


Vous avez lu le billet blanc de Geneviève Pondant, Bobonnette presque comme les autres. Quand je l’ai rencontrée, j’avais 20 ans et elle 7, c’était une louvette toujours souriante et malicieuse qui meublait allègrement les longues marches, et même les courtes, de son ramage déjà drôle. Le bon mot est toujours prêt à fuser tant l’humour lui est chevillé au corps comme son originale santé et, contrairement à d’autres, elle peut raconter ses avanies sans nous donner l’impression de s’en plaindre.
Traductrice de formation et maintenant professeur, j’imagine sans peine qu’elle amuse ses élèves, enfin, les attentifs !

Vous l’aurez compris Bobonnette Gene à encore beaucoup d’années devant elle avant de devenir une Bobonne sexa !

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