Semaine S-43 : Fumer c'est pas jouer !

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

cigarettes.jpgJe pense pouvoir dire que je suis "de la génération cigarette" élevée dans un halo de fumée.
Enfant, tous les hommes fumaient autour de moi mais pratiquement aucunes de mes mère, grand-mère et tantes, pourtant si on en croit les films de l’époque ça devenait très chic (on disait "in") pour les femmes.

Mon père, comme beaucoup, fumait plutôt des américaines, un oncle des arrache-gueule Boule Nationale sans filtre mais mon grand-père était le plus intéressant à observer car il se les roulait !
Calé dans son gros fauteuil en cuir brun lustré ou râpé selon les endroits, il déposait son matériel, la blague, son Zippo et son papier Rizla+ bleu sur les gros accoudoirs ronds à la Chesterfield.
Assez cérémonieusement, il sortait la dose de tabac odorant qu’il étalait, avec une grâce inattendue de ses solides doigts de boucher, sur le papier dont je me demandais comment il ne se déchirait jamais tant il était fin, presque transparent.
La feuille incurvée entre pouces et majeurs, les index tassant, le roulage s’effectuait comme par magie et la langue d’un trait précis humidifiait la bande collante prestement rabattue. D’un quart de tour il fichait la tige entre ses lèvres avant de décalotter le briquet, clic, un coup de molette et la flamme surgissait dans un "fouf" dégageant une odeur d’essence paradoxalement plaisante.

Je pense qu’il avait dû commencer à 17 ans pour se réchauffer durant les quatre années passées dans les tranchées sordides de la Grande Guerre pour laquelle, malgré son jeune âge, il s’était porté volontaire.
Toutes ces années passées clope au bec, il la quittait rarement, lui donnait une respiration sifflante assez impressionnante accentuée quand il s’endormait pour sa sieste quotidienne après s’en être roulé une qui se consumait et s’éteignait spontanément peu avant d’atteindre sa bouche.
...

Dans les familles à l’époque, il était de bon ton d’avoir un grand plateau présentant plusieurs paquets de marques différentes, éventuellement cigares et cigarillos, que l’on offrait à tout hôte de passage en même temps que café ou apéro.
En ce temps-là, on préférait responsabiliser les enfants plutôt que tout planquer, l’objet ainsi garni restait sur une table de salon et généralement, avant un certain âge en tout cas, on y touchait que pour avoir le privilège de le présenter aux invités.
Aux communions, il faisait partie des zakouskis et souvent une première (en principe) cigarette était autorisée à la vedette du jour ainsi qu’un verre de vin d’ailleurs ! Je crois malgré tout que quelques galopins plus jeunes et bravaches en profitaient pour transgresser l’interdit.

Dans cette ambiance inconsciente du danger potentiel, il était difficile de ne pas céder à l’envie de réessayer avec plus de régularité ce qui semblait être gage de virilité pour les garçons et d’émancipation pour les filles.
...

Difficile à imaginer, même pour ceux qui l’on vécu, on fumait partout, théâtre, cinéma, bus, avion, etc.

Malgré ces tentations, je commençai tard (enfin 17 ans, à l’époque ça l’était) et comme tout le monde par une petite bouffée testée ci et là pour le fun.
Puis une cigarette entière bribée* aux copains de plus en plus nombreux à succomber.
Puis un paquet par semaine pour éviter de ne fumer que des CDA**, de se faire répliquer le "T’as qu’la gueule pour fumer ?" et passer pour une profiteuse.
Puis, insidieusement, l’addiction m’atteignit, les 20 francs (0,50 €) de l’époque n’étant pas un grand rempart.
Puis, évidemment, d’autant qu’il était permis de fumer en cours au supérieur, je passai à la vingtaine de sèches par jour, dose que bizarrement je ne dépassai que rarement, lors de guindailles*** particulièrement folles. En fait, tant que je ne voyais pas de fumeurs, j’en avais peu envie.
...

En 1996, motivée de me débarrasser de cet esclavage puant, je participai au "plan de 5 jours".
Animé par un homme, mélange de mormon et de protestant, pour qui sourire devait être une excentricité, l’émulation et la participation conjointe de ma voisine firent leurs preuves.
Pourtant, c’était comme entrer en religion, les bondieuseries en moins.
Plus de cigarettes qu’on jetait tous solennellement avec son briquet dans le même panier mais surtout pas d’excitants, donc ni café ni thé ni alcool ! Et que des fruits pendant deux jours suivis d’adjonction de produits laitiers jusqu’à la fin de la semaine !
Carrément plus rien quoi ! L’épuration totale.
J’avais envie de dormir presque tout le temps (on était prévenus) mais ce sevrage absolu me donna l’impression d’être une héroïne, sans doute sentiment recherché par la procédure.

Je tins bon six mois dans l’abstinence totale puis, tentée et sans doute trop sûre de moi, je recommençai le même processus d’accoutumance que 20 ans auparavant pour m’arrêter au paquet semaine, deux cibiches le matin en faisant mes mots croisés (oui, c’est Bobonne qui écrit, rappelez-vous), et le reste en soirée le weekend.
Une consommation légère que beaucoup d’accros m’enviaient.
...

Malheureusement une dizaine d’années plus tard, une douloureuse sciatique persistante me replongea dans une assuétude plus forte, soulagement psychologique mais inefficace.

C’est à presque trois paquets semaine que le prix, l’odeur, et les mises en garde répétées de ma dentiste me prévoyant une chute progressive de dents apocalyptique, que je décidai d’en finir il y a bientôt quatre ans.

Le tabac, c’est tabou, j’en viendrai à bout !

J’établis ma stratégie personnelle, de nombreux substituts étant apparus depuis ma première tentative.

Patchs pour la dépendance physique et cigarette électronique avec E-Liquide sans nicotine pour la psychologique et la gestuelle. Et cela a marché sans quasi d’effort !
...

Comme tous les anciens fumeurs, je suis beaucoup plus dégoûtée de la cigarette que d’autres.

Il faut dire que l’effet pervers de la bienvenue législation provoque l’agglutinement de tous, les "encore esclaves", à l’entrée de tout lieu public.
On doit dès lors prendre son courage à deux mains pour traverser un nuage de fumée âcre et malodorante qui n’a plus rien des effluves parfumées du tabac frais. Le pire sont les entrées d’hôpitaux où des malades une main sur leur pied à baxter*** tirent avidement de l’autre sur leur "clou de cercueil" le bien nommé en empufquinant tout l’entourage.
A cinq mètres, je détecte tout fumeur précédé de sa désagréable odeur de cendrier et ai du mal à tenir une conversation quand son haleine semble exhaler le nombre de cigarettes inhalées.

Mais, malgré tout, j’aurai toujours envie d"une bonne petite cigarette".

Actuellement, je me contente des volutes glucolisées sans nicotine de ma cigarette électronique, surtout le matin (Ah ! La cigarette du matin !) et éventuellement en soirée, qui leurrent mon cerveau qui restera primaire à ce sujet !

Jusqu’à preuve du contraire, je pense que cette E-cigarette est une alternative idéale mais les trusts cigarettiers veillent bien entendu à la discréditer.
Quant aux Etats, effrayés de perdre tant de rentrées taxatoires tout en prônant, hypocritement à mon avis, des tas de mesures de "santé publique", confondant d’ailleurs l’objet et le liquide qu’on met dedans, ils envisagent des taxes sur cette solution qui fonctionne enfin !

Et c’est ce projet irresponsable, à mon avis certes peu éclairé scientifiquement, qui m’a donné l’idée de ce billet.

* Briber
** Celles Des Autres
*** Guindaille
**** Baxter = perfusion en Belgique

Aujourd’hui, ma pensée ira à toutes les personnes que la tabagie a empêché d’avoir 60 ans cette semaine.

Une pensée aussi pour mes grand-père et oncles fumeurs victimes du crabe.

La discussion continue ailleurs

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