Semaine S-27 : Architecte, quel beau métier !

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

architecte.jpgÇa y est ! Après bac plus cinq et un chouïa, je me retrouve avec ce précieux diplôme sésame d’une carrière mirifique dans ce beau métier tellement bien considéré à constater le nombre de fois où un héro de film est architecte, généralement aisé. C’est là où la réalité est loin de la fiction !
D’abord, il fallait trouver un stage (obligatoire) généralement mal payé pendant deux ans et si possible un client voulant exploiter euh, faire confiance à un jeune architecte, femme, à une époque où cela paraissait encore incongru. A l’annonce de mon métier, "je suis architecte", la réplique était pratiquement toujours "d’intérieur ?". Non, une vraie.

Malgré cette aura assez chic du métier, au début des eighties, l’architecte était vraiment vu comme une obligation inutile chez la majorité des candidats bâtisseurs.
Le maître d’ouvrage moyen ne rêvait que de la "fermette" espèce de melting pot des caractéristiques d’une fermette flamande mâtiné de quelques archétypes de la ferme wallonne.
Côté rue, des petites fenêtres à carreaux, une porte d’entrée idéalement cintrée ainsi que la porte de garage, quelques pierres de taille pour faire cossu dans des briques chamarrées, côté façade arrière, une porte-fenêtre et la porte de cuisine, l’ensemble coiffé de tuiles béton ornées de barbacanes "pour faire style" le tout aggravant la banalité architecturale désolante des banlieues et pire, enlaidissant nos villages authentiques.

Niche commerciale où se fourraient les constructeurs "Clé sur porte" offrant généralement un produit uniforme dont l’unique originalité se situait dans la couleur des briques et du carrelage reprenant dans l’économie illusoire des honoraires d’architectes vénaux l’argent qu’ils mettaient dans leurs pubs mensongères. Le client en sortait rarement gagnant tant les malfaçons et les suppléments étaient monnaie courante, justement fondant dans son porte-feuilles de naïf roucoulant. Oui, je pèse mes mots, cette époque était sauvage et la réputation de la confrérie largement salie par ces cons frères ne voyant que le fric en oubliant toute déontologie essentiellement tournée vers un objectif qualitatif.
"Mon architecte n’est jamais venu sur le chantier" (air scandalisé) ! Ah, oui ? Combien l’as-tu payé ?
Courageusement (stupidement ?) tu refusais de participer à la pauvreté urbanistique de ces "Ça m’ suffit !", toi jeune architecte pleine d’idéal et d’appétit créatif, carrément conditionnée pendant cinq ans à l’imagination et à l’inventivité se concrétisant en un concept intellectuellement masturbatoire qu’on pourrait définir comme la culture du "geste".
Le geste architectural.
Pendant mes études, j’ai mis du temps à comprendre et à passer du plan fonctionnel et rationnel à l’utilisation d’un subterfuge créatif pour aider à la conception d’un lieu de vie. Puis sans avoir les prétentions d’un Le Corbusier, Wright ou Calatrava, j’ai compris l’apport qu’une forme d’art donne à l’architecture.

Que le résultat ait un aspect assez esthétique et équilibré, ça paraît évident mais n’est déjà pas partagé par grand monde pour qui habiter une maison est avant tout pragmatique et le moins coûteux possible.
Cela fait plus de trente ans qu’après la présentation d’un croquis laborieusement mis à l’échelle, dans l’espoir sans doute de rogner sur les honoraires puisque il n’y a plus qu’à recopier et signer, la question qui brûle les lèvres du client est : combien ça coûte ?
La réponse est d’une part forcément vague à la première visite (une fourchette de prix au mètre carré) mais ne satisfait personne puisque j’ai rarement rencontré un client qui avait au départ le budget de ses ambitions.
Quand l’architecte a de la chance, le client veut vraiment quelque chose de "différent" qui, il faut regarder les choses en face, sera toujours plus coûteux. Mais un architecte, par une optimisation des espaces inutiles et un bon suivi des travaux et prix, vous fera généralement regagner le surcoût de cette architecture sur mesure.

Mais tout ça n’est guère que la première, importante mais peu reconnue, partie du travail.
J’ai coutume de dire que dans ce merveilleux et complet métier, on commence par le dessert, l’exaltation des petits croquis, de la bonne idée, d’une rationalisation des surfaces au profit d’un petit "événement" architectural, le tout en tâchant de rester dans le budget toujours trop serré, n’a qu’un temps.
Après avoir réalisé le monceau de documents administratifs toujours plus exigeants, tu passes aux soumissions.
Là vraiment, c’est à se demander où est la crise dans la construction. Obtenir des devis, surtout pour des petits projets, tient du parcours de combattant où tu as intérêt à te munir des qualités du morpion.

Ça y est, les entreprises sont choisies, les contrats signés et les délais fixés.
Tout roule.
Pas rire !
A supposer qu’il n’y ait pas d’intempéries et que le maçon, qui est full pour l’année, commence plus ou moins quand c’est prévu, la suite des travaux nécessite outre les qualités susdites, celles du chat pour la patience et du pitbull à l’occasion pour l’agressivité, mâtinée de diplomatie bien entendu.
Un chantier sans problème, ça n’existe pas, il y a, même pour les plus chanceux, toujours bien un rouage qui coince.

Le tout doit être géré sachant que tu seras responsable dix ans des erreurs des autres ! Ok, parfois des tiennes mais ce n’est quand même pas toi qui réalises et tu ne peux, ni ne dois, être présent non-stop.

De nos jours, le jeune architecte a un avantage qui n’existait pas à mes débuts, les médias s’étant mises à la promotion de l’architecture de qualité et la déco qui se démarque étant super tendance entraînant les "Clé sur porte" à plus de créativité, la profession d’architecte s’en trouve valorisée et de plus en plus, des maîtres d’ouvrage prennent un architecte même si aucun permis de bâtir n’est nécessaire ce qui est rare en Belgique contrairement à la France où l’architecte est toujours compté, de manière aberrante, comme un intervenant de luxe !
Par contre, l’éventail des compétences et responsabilités de l’architecte ne cesse de s’étendre, outre la législation urbanistique de plus en plus absconse et historiquement sujette à l’interprétation des fonctionnaires, un minimum de connaissances en stabilité, en technologies, en performance énergétique, bientôt en acoustique, il est (chèrement) désigné responsable dans le choix du coordinateur sécurité-santé (une ineptie inutile et coûteuse pour les projets courants) !

Bien que toujours motivée à créer un habitat bien intégré à son environnement et sur mesure pour ses habitants, je n’envie pas mes jeunes confrères et remercie les clients, Bénédicte et Francine par exemple, qui m’ont fait confiance à une époque où c’était encore remarquable de désirer autre chose qu’une construction formatée.

*Si vous voulez en apprendre plus sur les devoirs de l'architecte : Un architecte pour mon projet
 Et profitons-en, mon site professionnel : www.de-troyer.be

Cette semaine, c’est à Myriam H. consoeur et coréthoricienne à qui je souhaite de passer joyeusement le cap des sexas actives !

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