Semaine S-14 : Notre tante Gaby à tous

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

gabrielle.jpgNuméro trois d’une fratrie de six, ma marraine Gabrielle était une très jolie brunette aux fossettes et sourire ravageurs, son optimisme jamais affecté par ses nombreux accidents et autres mehins* récurrents dont le premier, les freins de son vélo qui lâchèrent dans la très pentue rue familiale, lui occasionna une rencontre désagréable avec un mur et une fracture du crâne qui lui laissa des céphalées régulières à vie, ce qui lui valut le surnom d’Harbouya**.

Ma grand-mère paternelle étant décédée jeune en 39, elle s’occupa de ses frères dès 18 ans pendant la guerre en plus, sa grande sœur ayant peu la fibre maternelle. Accessoirement, elle sauva le p’tit Jojo, mon père, suspendu, au bord du lâchage, au-dessus des escaliers par ses trois frangins sans doute irrités par le cadet !
Elle trouva néanmoins le temps de poursuivre ses études et devint assistante sociale, métier combien prédestiné pour cette altruiste intrinsèque.

Pour se rendre dans les différents centres ONE*** des banlieues modestes, elle conduisit tôt, alors que peu de femmes le faisaient ; sa 2CV grise cahotante, hurlante dans les tournants, était toujours remplie de tous ces colis obtenus auprès de son cercle élargi de bonnes familles prêtes à donner ce qu’elles n’utilisaient plus ou pas et qu’elle redistribuait au plus vite à "ses mamans".
Fiancée, elle eut le malheur de perdre l’amour de sa vie (son voisin sur la photo) de maladie et finit sa vie célibataire, après quelques rencontres jamais à la hauteur de son Georges.
Malgré tout, elle était la joie de vivre et la seconde maman de tous ses neveux et même de tous les enfants qu’elle fréquentait, bienvenue compensation sans doute de ce manque d’enfantement qu’elle aura toujours eu.

Ayant eu le bonheur qu’elle vive à l’étage au-dessus pendant les premières années de ma vie, elle s’occupait beaucoup de moi, je pouvais débouler à tout moment, j’avais droit à un biscuit, une chanson, une histoire magnifique ou une activité partagée, genre faire une tarte.
Elle n’oubliait jamais un anniversaire et avait toujours une bricole glanée çà et là généralement appropriée à l’âge ou aux passions des intéressés. Malgré son petit salaire et une propension à l’économie, elle avait le cas échéant le petit billet facile pour aider.

tante-gaby.jpgCe célibat plutôt forcé fit d’elle une femme libre bien avant l’heure, libre de gagner sa vie, de conduire, d’aller au spectacle et surtout de voyager.
Elle avait énormément d’amis dont les célèbres "Joyeuses" ses amies guides qui se virent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, scrabbles, bons repas, excursions, elle(s) étai(en)t infatigable(s).

Elle aimait l’art, courait les expos, pratiquait l’aquarelle, toujours modeste alors qu’elle avait un talent certain et ne ratait pas un ballet de Béjart.
De ses voyages, elle rapportait des souvenirs pour nous gâter et des photos dont elle faisait consciencieusement des albums.
Catholique pratiquante, c’est une des rares personnes que je connais qui pratiquait vraiment la "parole du Christ", généreuse et accueillant tous avec équité, sans jugement, homosexuels et transgenres compris.

C’est chez elle que je me réfugiai quand je fis "ma fugue" et où je pus prendre l’air d’une atmosphère parentale oppressante et c’est elle aussi qui réunissait à la Toussaint toute la famille, ce qui pouvait monter à plus de 25 personnes dans son petit appartement trois pièces. Le buffet était prêt sur le meuble du même nom, on se casait un peu partout l’assiette sur les genoux et on riait beaucoup, taquins qu’on est dans la famille ! Ça donnait l’occasion de voir les cousins émigrés au Brabant wallon puis de terminer la journée avec une virée sur la foire de Liège, munis des dringuelles**** données par les oncles et tantes.

Ce n’est pas qu’elle était parfaite, elle avait une sacrée propension au ragot et à la mise de pieds dans le plat qui pouvait mettre à mal la cohésion familiale ou parfois la recréer (sourire) mais je ne connais personne qui ne l’aimait pas !
Après 2, 3 années passées en maison de repos qui l’acheva, comme souvent, mais où elle continua à être sociable en participant aux activités, elle s’éteignit à 88 ans dans son sommeil après une visite de cousines qui avait dû l’apaiser.

La messe dans la petite chapelle comble fut impressionnante, outre tous ses amis encore vivants, 10 des 12 cousins (et conjoints sous le charme également) encore en vie étaient là et près de la moitié des petits-neveux qui chantèrent avec beaucoup d’émotion, en l’honneur de Renardeau, le chant de la promesse scoute le foulard au cou, bien que non coutumière du fait, je versai une larme.

Je ne crois pas qu’il y a beaucoup d’octogénaires, célibataires en plus, à l’enterrement desquels il y a tant de monde, sincèrement triste en plus.

J’espère pour elle qu’elle a trouvé le paradis auquel elle croyait, si c’est le cas, de là-haut, c’est sûr, Tante Gaby veille sur nous !

 * mehin : souci, bobo, problème, chagrin
 ** Revoir ce billet pour les explications Le pauvre Harbouya 
 *** ONE Office Nationale de l'Enfance
 **** Dringuelle : argent de poche qu'on reçoit pour une occasion

C’est au tour d’un célèbre ange gardien, bon soixantième anniversaire Mimie Mathy !

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