Semaine S-34 : Ma sœur.

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

sabine.jpgIl y a vingt-cinq ans, le 17 février, tu disparaissais de ma vie.
Toi ma petite soeur fragile mais forte, timide mais drôle, toi mon unique fratrie alors que je me rêvais enfant de famille nombreuse, idéalement au milieu car ils bénéficient d’une moindre focalisation que les premiers nés et d’une moindre protection pathologique que les benjamins. Interprétation totalement subjective, puisque j’étais l’aînée et toi la cadette.

J’étais au Grand Bazar, à attendre de voir saint Nicolas quand je fus avertie officiellement de ton arrivée imminente. Du haut de mes quatre ans, ça paraissait une bonne nouvelle.
Et ce le fut.
Pressée d’avoir une compagne de jeu, je déchantai un peu car tu étais vraiment très petite, comme une de mes poupées qui aurait pris vie.
J’aidai comme je pouvais (j’y croyais) maman qui faisait un épuisement post-partum. Souvenirs d’un dîner que je lui apportai au lit mais que je renversai, consternée, avant de tout maladroitement remettre pêle-mêle dans l’assiette , changement de langes en tissu (ça revient en force), préparation de la panade Betterfood-orange-banane dont je me régalais au passage et moment suprême, te donner le biberon...
De bébé bibendum tu passas rapidement à maigrichonne ce qui te valut le surnom affectueux de "La Frite" attribué par les cousins.

sabineetmoi.jpgMême patrimoine génétique, même éducation, nous nous avérâmes rapidement tellement différentes sur la forme.
J’étais la costaude, la bravache, quand tu te traumatisais d’avoir picoté un trou à côté du dessin à suivre et somatisais à la moindre épreuve.
En bon garçon manqué, presque misogyne, je t’appelais du coup la "tchoûlåde"* car trop émotive, un rien te faisait pleurer et ce, pour ta courte vie entière.

Paradoxalement, tu étais du genre volonté de fer dans un gant de velours.
Quand on faisait nos combats de catch sur le lit parental, tu étais d’une énergie et d’une vivacité qui contrebalançaient bien mes taille et poids, tu pouvais m’éjecter du ring d’un coup de rein inattendu ! Tu excellais aussi dans le jeu du prisonnier, malgré mes nœuds de plus en plus savants dont tu te libérais, tel Houdini, en moins de cinq minutes, moi chronométrant dans la pièce à côté où tu débarquais victorieuse, toujours sidérée que tu y arrives !
De temps en temps tu m’énervais vraiment fort et là, plus de sport, tu en ramassais une et évidemment s’en suivaient un hurlement, tes pleurs justifiés et la punition pour moi !

Mais que de bons souvenirs !

Des classes que nous faisions à nos poupées, des histoires que nous inventions dans le super village Lego traversé par un train et bordé d’un circuit de voitures digne de Francorchamps !
De nos cabanes construites à deux chez les grands-parents.
De moi le cowboy, toi l’indien, moi le prêtre officiant devant la messe télévisée du dimanche et toi l’acolyte, moi le chef à la baguette du concerto de l’Empereur et toi l’orchestre.
De toutes ces choses que je t’imposais parce que j’étais l’aînée.

Tu étais plus grande, plus mince et plus intelligente, on ne se ressemblait pas vraiment mais qu’est-ce qu’on a ri de faire les mêmes grimaces devant le miroir de la salle de bain qui nous prouvaient notre sororité indéniable tant physique qu’humoristique, l’espace d’un moment .

On se comprenait.

Viscéralement désireuse d’atteindre la perfection quand je ne voyais que plaisir épicurien, tu avais toujours ce pli soucieux entre les sourcils, souvent anxieuse, pas certaine d’avoir une place sur terre alors que tu étais un médecin extraordinaire.

Longtemps séparées dans notre quotidien par nos cinq années calendrier d’écart, c’est quand ces mois et tes études de cardiologue interminables n’allaient plus être un problème qu’une vicieuse plaque de verglas t’enleva à nous, à moi.

Rarement un jour où je ne jette un coup d’œil sur ta photo, Sabine, toi la personne qui me ressemblait le plus au monde, qui me manquera et que j’aimerai toujours.

* prononcer "tchoulaude" du verbe wallon tchoûler v.s.c.  sangloter, pleurer. pleurnicher. | tchoûlåd, e o.f.n. onk (ene) ki tchoûle po des réns. Dji m' broûla avou del bolante aiwe: mi mame mi djha: ci n' est rén, tchoûlåd, c' est l' mestî ki mousse (G. Alexis). F. pleurnichard(e), pleurnicheur (euse).

Évidemment ce billet et cet anniversaire ne sont pas drôles et ma pensée n’ira cette semaine qu’à toi, foudroyée trois semaines après tes trente ans que tu ne doubleras jamais.

PS : Voyez également à ces phrases d’amour un plaidoyer pour la réconciliation de toutes ces fratries déchirées qui ont encore la chance de pouvoir se parler.

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