Semaine S-39 : Mes profs d'humanités

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

chantal-soeur.jpgVingt ans de scolarité dans des écoles catholiques et quasi plus de temps passé sur cette période avec tes profs qu’avec tes parents, ça ne peut que marquer. Ils ont tous peu ou prou laissé un souvenir du sympathique au terrorisant en passant par l’insignifiant. Ce sont surtout les extrêmes qui me restent en mémoire.

Dans cette école de bonnes sœurs élitiste, le respect était de mise, et c’est en uniforme* que nous nous levions telles une seule femme à l’arrivée du professeur ou de toute autorité.

A tout seigneur, tout honneur, la directrice : sœur Chantal.

Imaginez Marlon Brando dans le Parrain en version femme, la moustache en moins, quoique. Précédée de son menton, le pas franc, les pieds à 10H10, la coiffe serrée au-dessus de sourcils sévères, quand elle déambulait tout voile dehors dans les couloirs, on essayait de se confondre avec les murs et quand elle rentrait dans une classe, présage d’un orage directorial, nous rentrions la tête dans les épaules.
Nous, prestement debout, raides comme des i.
- "Asseyez-vous !"
Elle, cherchant sa victime d’un travelling d’yeux scrutateurs, eux aussi à 10H10.
Le problème était là, aussi, quand elle s’adressait à quelqu’une, on hésitait et fréquemment il arrivait que deux élèves se lèvent en même temps au péremptoire : "Vous, là !". Apparemment inconsciente de son strabisme divergent, ça l’énervait et elle réitérait d’un ton plus haut : "Non, vous, lààà !" laissant les intéressées perplexes. Qui allait se rasseoir ? Ça pouvait durer.
Cependant cette femme à poigne était juste et pouvait excuser voire même comprendre les actions d’éclat audacieuses mais pertinentes de certaines d’entre nous, personne ne l’oubliera.

Elle avait son bras droit, madame G., la préfète de discipline, l’incorruptible, distribuant ordres et interdictions avec implacabilité, contrôlant présences et arrivées tardives, traquant bijoux, maquillage, jupe trop courte ou toute couleur autre que bleu et blanc, fustigeant le moindre écart de langage et évidemment distribuant des retenues le cas échéant.
Néanmoins femme comme les autres, elle nous aimait bien et pouvait se laisser aller à la confidence, lors d’une surveillance d’heure de fourche, elle nous raconta sa jeunesse et la mode de l’époque, ballerines et pantalon fuseau Vichy, quand nous étions en pleines semelles compensées et pattes d’ef’, ce qui nous laissa bouches bées devant tant d’exotisme ! A peine 15 ans devaient nous séparer mais pour nous elle faisait partie des "vieux" !

L’autre sœur mémorable, dite sœur Loulou, était carrément rock’N Roll, ayant renoncé à l’habit mais pas à la foi au profit d’une discrète croix, elle était ouvertement avant-gardiste, sans doute car scientifique. C’est dans le cadre des heures d’anatomie que nous eûmes le cours d’éducation sexuelle.
Si ! Une initiation donnée par une femme qui en principe n’avait pas connu ces joies !
Ce n’est évidemment pas du plaisir sous-jacent dont elle nous parla le plus (ils étaient mariés, ils s’aimaient bien et ils voulaient un enfant) mais son ouverture et son franc-parler nous affranchirent plus ou moins clairement sur ce sujet combien délicat même au temps de la révolution sexuelle et du Flower Power !

Également personnage haut en couleurs, longs cheveux noirs au vent avec reflet henné, yeux cerclés de khôl, robes vaporeuses et multicolores, bref, le total look baba cool, c’était bien sûr le professeur de dessin qui nous ouvrait avec conviction sur l’art ranimant une créativité, plus ou moins bridée par des thèmes éculés pendant les primaires, en nous proposant de réaliser des travaux originaux loin des sujets rabâchés.

Une seconde terreur était madame E. , jamais un sourire ni une diversion, interrogation orale à chaque début de cours. Après le salut-debout-assis, c’est là qu’on comprenait la métaphore "entendre une mouche voler".
Un vrai thriller, qui allait être la martyre ?
Un jour ce fut bien entendu moi, je crois que je compris certains effets cinématographiques ce matin-là. La goutte de sueur au front, les yeux qui s’écarquillent, la bouche entrouverte, les jambes tremblantes plus les sensations invisibles tels le nœud au ventre et le sang qui te quitte. Même une musique stressante irréelle semblait baigner le tout.
Comme dans un cauchemar je débitai la leçon et restai figée. Ce ne fut qu’au deuxième "C’est bon, asseyez-vous" que je revins à moi et me rassis encore moite.

Madame C., prof de math faisait peur aussi mais moins, très élastique et exaltée dans ses attitudes, elle couvrait rapidement tant le tableau que ses vêtements de ses démonstrations crayeuses souvent agacée de constater que nous restions étanches à ses explications mathématiques orgasmiques, ça pouvait la courroucer : « Contrôle, prenez un quart de feuille ! ».
Ce n’était pas le cas de notre chouchou, prof de math également, homme sémillant que je soupçonne d’avoir inconsciemment joué de ses charmes pour nous faire rentrer des matières qui n’auraient eu sans ça que peu de chance d’atteindre nos cerveaux et sens biologiquement phéromonés à l’excès dans cette ingrate adolescence.
Ces deux-là se sont mariés (en secondes noces) sans doute exultent-ils intégralement dans le calcul d’hypoténuse et l’échange de résolutions d’équations du troisième degré, gymnastiques intellectuelle et physique y comprises ?

Rayon mâles, rares donc appréciés, il y eut aussi monsieur D., neveu par alliance de la dirlo, les oreilles à la Gainsbourg avec joli effet de transparence sur celle de gauche et monsieur L., timide et rougissant comme un ado pré-pubère qu’on rendit marteau en se planquant derrière les gradins du labo de chimie!

Madame R., prof d’anglais était également exigeante et appréciait un peu trop à mon goût les élèves doués dans le domaine, ce qui n’était, hélas pas mon cas. Ses interrogations, surtout orales, m’occasionnaient, à ma grande déception, de fréquentes sueurs malgré mes efforts consciencieux, handicapée que je suis dans l’apprentissage des langues, français excepté.

Venons-en au meilleur prof du monde entier ! Oui, il y a beaucoup de très bons profs et sympas en plus.

Madame D. m’a donné goût au latin, en sixième (première actuelle en Belgique), en ces temps immémoriaux, on avait cours le samedi matin et elle a réussi à ce que je sois impatiente d’y être, bien que ne pas aller à l’école ce jour-là fût inimaginable.
Neuf heures de latin/semaine (si!) se terminant en apothéose par l’histoire de Rome, spectacle quasi théâtral donné par une passionnée, comment ne pas être suspendue aux aventures de Romulus et Remus racontées avec tant de fougue et dans le même temps s’amuser avec les déclinaisons et versions latines ? Plus tard, c’est au cours de français qu’elle rejouait sur l’estrade improvisée scène, les affres des grands poètes ou écrivains pour expliquer leurs productions littéraires, on aimait et pleurait comme eux et découvrait toutes les subtilités et évolutions de la langue de Voltaire mais aussi de Rabelais, Molière, Victor Hugo, Zola et tant d’autres.
Grâce à elle, qui nous accompagna dans notre périple parisien précédemment évoqué, nous montâmes un spectacle très contemporain avec le collège de garçons voisin, sur le thème « L’existentialisme et Saint-Germain-des-Prés », on se sentait Sartre, Simone de Beauvoir, Camus, Boris Vian, Barbara, les frères Jacques, etc.

Je ne me rappelle que de ça, au diable la théorie, vive le vécu et la transmission de la passion !

On dit beaucoup de mal sur les écoles dites "de confession", personnellement, je pense qu’outre l’enseignement théorique, si j’ai acquis un esprit critique, c’est que sans doute la formation de cet établissement, malgré nombre de défauts, était plus ouverte et constructive qu’il n’y paraissait.

* L'uniforme, très strict au départ avec chemisier à modèle unique, jupe plissée et tablier a évolué pendant les seventies vers simplement l'obligation de rester dans le bleu et blanc.

Une pensée colorée et chantante pour Bibie qui a rejoint le clan des sexas.

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