Semaine S-10 : On ne sait jamais ...

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

sculpture.jpgMes grands-parents ayant vécu deux guerres, l’économie et la récupération étaient une seconde nature tenant également de la bonne gestion d’un ménage en ce début de XXème siècle.
Mamy ne jetait rien, si les restes comestibles n’étaient pas ré-accommodables en mets acceptable, les poules et les oies s’en chargeaient, les vêtements fatigués étaient retaillés ou transformés en loques* si trop usés, même les pulls pouvaient être détricotés pour réutilisation, j’adorais voir les mailles se défaire, retendre le fil bouclé et refaire des pelotes dans une action destructive potentiellement constructive, pour une fois qu’on pouvait !

Les élastiques avaient leur boîte, les papiers d’emballages de chocolat en aluminium étaient soigneusement défroissés du doigt, ça aussi amusant, pliés et empilés dans un tiroir, les journaux servaient d’emballages provisoires, d’allume-feu ou de brosse efficace pour faire briller les godasses increvables, toujours ressemelées, le cuir étant de qualité à l’époque, les chaussettes évidemment reprisées et les déchets de savon agglomérés dans un vieux bas nylon. Entre autres.

Surtout ne jamais gaspiller, on ne sait jamais, on pourrait manquer.

Le pain était livré entier, gardé dans une grande casserole et après une croix fort bizarrement chrétienne tracée sur sa base, coupé au fur et à mesure des besoins par le couteau dentelé de Bon-Papa, son unique travail ménager avec l’épluchage de patates, le seau entre les jambes et assis comiquement sur son petit passet**, le lait était livré en cruche, les légumes conservés en bocaux stérilisés réutilisables et les bouteilles consignées.passet.jpg
Je ne me rappelle même pas qu’il y avait une récolte de poubelles, mais sûrement.

Bien qu’ à l’abri dans sa campagne, avoir connu la guerre dans sa petite enfance et toutes ses économies obligatoires marquèrent ma mère à vie.
Devenue citadine dans les golden sixties où manifestement la notion de quasi autarcie était devenue ringarde, la consommation vite abusive devint la norme.

Mais pas pour elle.

Si on n’élevait pas de voraces gallinacés, tout ce qui était prétendument récupérable était conservé, au grand dam de la cave et du grenier ; ces grandes maisons n’ont pas que des avantages.
Bien entendu la tendance à la mise en réserve du moindre sac en papier les faisait s’entasser inutilement dans une armoire vite saturée, les sachets de pain, à l’époque payants étaient (r)apportés à la boulangerie jusqu’à ce qu’ils tombent en lambeaux et les bocaux de confitures industrielles ou autres barquettes aluminium engrangés pour une hypothétique ré-affectation.

On ne sait jamais.

C’était encore l’époque des cabas et des camions livrant les boissons aux bouteilles toujours consignées, heureuse motivation à la réutilisation, pas encore beaucoup de plastique, heureusement.
Il n’y avait guère que les détritus qui étaient jetés et le poids de la poubelle en robuste métal galvanisé n’incitait pas à la remplir !
Que n’ai-je fui, sous l’opprobre maternelle hurlante m’ordonnant de sortir l’objet lourdement chargé le jour du passage des éboueurs, afin de m’éviter de me casser le dos à le sortir et de me salir avant d’aller à l’école !

En gros, la majorité des acquisitions d’importance rentraient dans notre logis pour ne plus jamais en sortir.
Ainsi, la maison renferme toujours une collection complète des chaussures et vêtements familiaux désormais vintage si pas bouffés aux mites. Je pourrais donner toutes les pointures de mes sandales de jeunesse à mes futurs petits-enfants, petits veinards !
Pour moi ce sont des choses qu’on ne jette jamais !
Lors d’un rangement, outre les bottins*** des vingt dernières années, on a exhumé près de sept télévisions que ma mère croyait, dur comme fer, faire réparer un jour avec un frigo, un lave-vaisselle et d’autres électros pourtant datant d’avant l’obsolescence programmée.

On ne sait jamais.

Et me voilà avec un cruel héritage, on peut dire un atavisme contre lequel je lutte depuis toujours.

Tant que j’habitais un trois pièces au troisième étage et que j’étais peu argentée, l’affaire était gérable.
Mais quand je déménageai pour une ancienne ferme remplie de caves, grenier et granges, la situation ne pouvait que dégénérer.
Je ne vous ferai pas le tableau dramatique de cet emmagasinement quasi pathologique faisant du moindre bout de bois glané ou résidu de nos durs labeurs de rénovation, une utilisation potentielle.
Je ne sais même pas comment il est malgré tout possible de sortir minimum deux remorques d’encombrants par an sans compter celles de récupérables !

Enfin, je sais un petit peu.

Je ne peux rien jeter.

On ne sait jamais.

Et je récupère de ci, de là et de l’au-delà en quelque sorte, puisque ça décède sec autour de moi, âge oblige, et les héritages de souvenirs désuets d’êtres aimés, si difficiles à jeter, s’accumulent.

Sans compter que question récup’, les chiens ne font pas de chats et ma fille qui a l’œil brocanteur avisé, trouve qu’on peut bien garder tout ça vu qu’on a la place.

Et je ne peux rien jeter.

On ne sait jamais.

Mais quand même, je combats vaillamment, chaque tri, chaque séparation et chaque don est une victoire contre le syndrome de Diogène**** dont je refuse l’héritage.
Heureusement les recyparcs et autres conteneurs de vêtements usagés sont là pour m’inciter à l’abandon de bien matériel inutilisé.

Ce sera recyclé ou ça fera peut-être le bonheur de quelqu’un.

On ne sait jamais.

*Loque à reloqueter lavette ou torchon (France)
** Passet petit tabouret
*** Bottin : annuaire téléphonique, tout à fait obsolète de nos jours pour le coup !
**** Syndrôme de Diogène

C’est Marie-Hélène V. qui est la sexa à l’honneur cette semaine, co-réthoricienne et médecin jamais avare de bonnes histoires professionnelles anonymes cocasses qui nous font pleurer de rire lors de nos rencontres bisannuelles ! Il y a de ces cas ... irrécupérables, je ne vous dis pas !

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://accessit.be/index.php?trackback/72