Semaine S-11 : Mon beau miroir ...

Réflexions humoristiques d'une sexa.

Billet

miroir.jpgDans la maison de maître familiale construite en 1898, les miroirs avaient une place de choix sans doute décidée par mon arrière-grand-mère et la mode de l’époque.
Totalement ceints d’encadrement plus ou moins mouluré et/ou doré, les trumeaux de cheminée des belles pièces en étaient décorés offrant un contraste plus aérien au manteau habillé de lourds marbres travaillés qui entouraient le foyer soumis à leur pied.

  • L’idée de cette architecture fin XIXème siècle, était certainement d’agrandir l’espace, la conséquence, qu’on était habitué à voir son reflet partout ce qui convenait absolument au narcissisme maternel et à ma sœur et moi lors de nos chorégraphies plus ou moins synchronisées sur les musiques qui nous plaisaient et dont on pouvait vérifier de visu l’effet artistique et la souplesse insolente de nos corps juvéniles .

Outre son poudrier qu’elle ouvrait vivement d’un pouce habitué, ma mère avait aussi un miroir double face dont celle, grossissante, lui permettait de traquer toute imperfection dermique avec une persévérance obsessionnelle. On le lui piquait volontiers pour s’essayer aux grimaces et observer de près les détails les plus cruels de notre peau pourtant jeune et lisse.

Se mirer était donc une activité quotidienne dont l’apothéose se concrétisait dans le grand vestibule au sol dallé noir et blanc où deux miroirs se faisaient face au-dessus du lambris en imitation marbre . C’est là que tout naturellement et sans m’en rendre compte je dus comprendre la notion d’infini, se plaçant entre les deux, ces milliers de Brigitte en perspective rapetissante répliquant parfaitement tout geste était un spectacle gratuit qui ne me lassait jamais.
A la puberté, l’usure des miroirs devint exponentielle, que ce soit pour scruter le moindre point noir, appliquer mes premiers traits de mascara ou vérifier la planéité de mon ventre, en résumé, m’assurer d’un minimum d’attirance, besoin capital adolescent.

Une fois quitté le giron familial et son abondance de possibilités contemplatives, mon auto-observation reprit des proportions plus raisonnables voire inexistantes puisque je dus me contenter du seul petit miroir de la salle de bain de néo-adulte célibataire.
Il restait bien le passage obligé dans les cabines d’essayage mais les années et les kilos s’accumulant, la projection réflective à l’infini si captivante enfant tenait, et tient toujours, d’expérience plus proche du masochisme que de l’auto-satisfaction, le néon blafard, le rideau trop étroit et la vendeuse intrusive n’arrangeant pas la zénitude nécessaire à l’acceptation de son image, bien obligée que tu es de détailler chaque courbe de ton corps de déesse pour jauger l’effet séant ou pas de la clicote* que tu t’apprêtes à acheter, ou pas.

Même si, dans la décoration de ma maison, atavisme familial sans doute, j’ai remis à l’honneur le goût pour de jolis miroirs, on ne peut pas dire que je m’y abîme beaucoup j’aurais même plutôt le réflexe d’éviter d’y jeter le moindre coup d’œil.

Mais c’est sans compter avec cette nouvelle torture : finis les écrans mats, que ce soit la tablette, le PC portable ou celui de bureau, tous me reflètent sans pitié !

Mais pourquoi dois-je me voir dans mon écran d’ordinateur ?

Tu as beau te concentrer sur ton travail et tâcher d’ignorer le reflet que t’imposent ces saloperies de nouveaux écrans, rien n’y fait, tu passes ta journée à te percevoir plus ou moins nettement sans ton consentement.
Quand tu fais tes mines** avant de sortir (oui, ça t’arrive encore), il faut déjà bien tout pour étirer tes muscles maxillaires s’affaissant en souriant un maximum, mais là, ta tête inclinée vers le clavier multiplie ton double menton que tu vois beaucoup trop cruellement quand tu relèves les yeux pour contrôler ta frappe vu que tu n’as jamais appris la dactylographie.

Et c’est à ce moment, concentrée que tu es, qu’outre ces bourrelets disgracieux, tu constates qu’il est bel et bien là.
Ce pli.
Ce célèbre pli.
Pourtant c’est beau un lion.

Mais pas son pli.

Pas plus que les deux sillons nasogéniens, le pli d’amertume le bien nommé ni les ridules péribuccales qui prouvent bien ton âge et que seule la perspective de te retrouver avec une bouche de canard t’empêche actuellement de combler à grands coups d’injections d’acide hyaluronique, non, ça tu le réserves à ton genou arthrotique !

...

Les pattes d’oies, sont les seules qui trouvent grâce à mes yeux, hélas cernés, qu’elles magnifient à mon avis, stigmates d’une vie où j’ai beaucoup ri !

C’est déjà ça !

* Clicote 
** Faire des mines

La néo-sexa du jour est Danièle B., co-rhétoricienne et distinguée juriste dont l’éloquence particulièrement jouissive animait nos inter-cours avec brio !

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